Grossesse: danger des antidépresseurs… ou de la dépression ?

Les 20 dernières années ont été marquées par l’approfondissement des recherches portant sur la sécurité de l’usage des antidépresseurs inhibiteurs de recapture de la sérotonine (I.S.R.S) pris pendant la grossesse par des femmes enceintes atteintes de dépression. Les recherches ont porté sur le risque de malformation (tératogénie), sur le risque de sevrage néonatal induit, et sur des problèmes médicaux spécifiques tels que l’hypertension pulmonaire persistante du nouveau-né. Un intérêt croissant pour la psychiatrie périnatale s’illustre au travers de la publication de plusieurs centaines d’articles, sur les 10 dernières années, évaluant le risque  d’une exposition à un I.S.R.S pendant le premier trimestre de la grossesse. La grande majorité de ces rapports ne met pas en évidence un risque tératogène significatif.

Il est indispensable de comprendre que, pour peser véritablement les risques relatifs à l’usage d’antidépresseurs durant la grossesse sur le développement neurologique de l’enfant, il est nécessaire d’évaluer également ceux qu’engendrent la dépression non traitée chez la femme enceinte.

 

Généralités

Les études portant sur les effets à long terme de l’exposition du fœtus aux I.S.R.S font défaut, restant à ce jour limitées à de petites enquêtes de cohorte*. De plus, l’usage de substances (comme l’alcool et/ou le tabac) constituent souvent des variables susceptibles biaiser les résultats lorsqu’elles ne sont pas prises en compte dans leur interprétation. Enfin, on manque d’évaluations structurées et fiables du développement psychomoteur des enfants.

Sur la dernière décennie, on a pu assister à des avancées majeures dans les rapports portant sur la sécurité des antidépresseurs durant la grossesse. Une entre elle a été la prise de conscience d’une absolue nécessité de tenir compte des autres éventuelles expositions. Ainsi, l’effet des maladies psychiatriques maternelles non traitées, sur le risque obstétrical, néonatal, et à long terme, les conséquences cognitives et comportementales des enfants, doit-être évalué. Ceci s’est vite confirmé comme particulièrement incontournable. Un grand nombre d’article a démontré les effets néfastes de la dépression non traitée sur une multitude de résultats obstétricaux et néonataux. Il en serait de même concernant l’effet de la maladie psychiatrique maternelle sur le développement ultérieur de l’enfant. Une question centrale reste pourtant pour l’heure sans réponse : comment et par quels mécanismes la maladie psychique de la mère, non traitée, affecte le développement cérébral du fœtus, augmente le risque de dysrégulation neuro-développementale et affecte sur le long terme la psychopathologie des enfants ?

 

 

Article du Journal of American Medical Association

Dans un article du JAMA* of Psychiatry de ce mois-ci, Brown et ses collaborateurs tentent de savoir si l’exposition aux I.S.R.S pendant la grossesse est associée à des troubles de la parole, du langage (troubles DYS), de la fonction neuro-motrice et/ou à l’échec scolaire, chez des enfants évalués à leur entrée dans l’adolescence. Ils s’appuient sur un échantillon très important de 845 345 femmes enceintes via une base de données finlandaise, pour décrire un plus grand risque de troubles de parole et/ou du langage dans le groupe exposés aux I.S.R.S … mais aussi dans le groupe sans traitement malgré un diagnostic de dépression, par rapport aux femmes sans trouble de l’humeur ! La comparaison entre les enfants exposés aux I.S.R.S avec ceux qui furent exposés à une dépression maternelle sans traitement n’a donné aucune différence dans dans les résultats neurodéveloppementaux étudiés. Seule une différence réapparait entre les nourrissons exposés aux I.S.R.S et les nourrissons qui ne le furent pas (mais dont les mères étaient déprimées) dès lors qu’on prend en considération la poly-prescription d’un plus grand nombre d’I.S.R.S pendant la grossesse. Observe-ton alors l’effet des multiples prescriptions de psychotropes ou bien celui d’une  plus grande sévérité de la dépression (susceptible alors d’expliquer le plus grand nombre de spécialités pharmacologiques essayées) ?

Compte tenu des évidentes limites méthodologiques, associées à l’analyse de bases de données administratives de type « big data » (pas spécifiquement conçues pour fournir des réponses aux questions posées par les études qui en découlent pourtant), on peut se demander quelles sont réellement les conclusions exploitables des données présentées. Malgré des échantillons de grande taille, il existe des incertitudes certaines sur les données en ce qui concerne la  validité diagnostique, la sévérité de la maladie, la durée précise de l’exposition aux traitements, et même sur la prise effective du médicament… La fréquence des problèmes de parole/langage ayant justifiés d’une orientation vers des soins spécialisés (sans existence de critère spécifique pour un tel renvoi) est relativement faible. Ces troubles sont survenus chez:

  •  1,6% des patients du groupe exposé aux I.S.R.S,
  • 1,9% dans le groupe non exposé aux traitements mais à la dépression,
  • 1,0% dans le groupe « témoin ».

Observe-t’on des résultats vraiment significatifs justifiant d’une étude plus approfondie ou est-ce juste un bruit de fond parasite de l’étude ? Comme déjà évoqué, il est également possible que la survenue d’un risque accru de troubles de parole/du langage parmi les femmes qui se sont vus prescrire le plus grand nombre de traitement I.S.R.S pendant la grossesse reflète un groupe parmi lequel les femmes ont présenté les dépressions les plus sévère pendant leur grossesse (par rapport à celle chez qui un diagnostic de dépression a été posée sans qu’un traitement antidépresseur n’ait été administré).

Alors, est-ce qu’on mesure vraiment l’effet des traitements antidépresseurs ou celui de la sévérité dépressive sur l’enfant ? Les enjeux de cette délicate interprétation sont essentiels, susceptibles de justifier des décisions thérapeutiques opposées: abstention thérapeutique ou, au contraire, adaptation optimale du traitement médicamenteux ? En effet, la grossesse diminue naturellement la concentration sanguine en médicament chez la patiente enceinte. Cette « dilution » médicamenteuse induit un risque d’inefficacité si on augmente pas la posologie en conséquence…

 

 

Conclusion

Les chercheurs sont confrontés à un sujet de santé publique essentiel. La question de l’attitude médicale face à la dépression de la femme enceinte, est l’objet de discussions interminables entre médecins traitants, gynécologues, pédiatres et psychiatres. Les patients et leurs proches sont bien souvent perdus au sein des arguments parfois contradictoires de leurs interlocuteurs médicaux. Les obstétriciens ont tendance à prôner l’absence d’antidépresseur (ne serait-ce que par principe de précaution), les psychiatres ont la lourde tâche de rappeler l’impact hormonal des troubles thymiques (comme anxieux) et les conséquences potentielles sur le développement du foetus…

Seule une recherche systématique, au delà des résultats préliminaires, et la réplication scientifique peut mener à des critères précis pour guider la décision thérapeutique, via l’évaluation de la balance risque-bénéfice d’une utilisation des antidépresseurs chez la femme enceinte. Les données suggèrent une prévalence de l’utilisation des I.S.R.S de 5% à 10% pendant la grossesse. Les observations actuelles en matière de sécurité montrent que même les femmes souffrant de dépressions très récurrentes ou à tendance chroniques préfèrent le plus fréquemment éviter l’exposition du fœtus aux médicaments. Mais la connaissance médicale ne permet pas encore de savoir si l’exposition aux I.S.R.S ou la dépression non traitée pendant la grossesse sont équivalente en terme de toxicité neuro-développementale ou si, sur le long terme, l’une de ces situations confère un plus grand risque que l’autre. La dépression non traitée pendant la grossesse prédit un risque supérieur de dépression post-partum avec les conséquences qui en découlent sur l’interaction mère/enfant. C’est aussi à la lumière de données fiables décrivant les effets néfastes de la maladie psychiatrique maternelle sur le développement de l’enfant sur le long terme, que les cliniciens devront élargir le cadre conceptuel utilisé pour évaluer le risque relatif de l’utilisation des I.S.R.S pendant la grossesse. Ils pourront alors délivrer une information médicale exhaustive et accessible à des patients qui resteront toutefois libres de leur décision.

 

 

Indexe:

-enquêtes de cohorte: étude statistique prospective de type longitudinale qui est généralement fondée sur deux groupes de sujets;

 

Références:

-Neurodevelopmental implications of fetal exposure to selective serotonin reuptake inhibitors and untreated maternal depression: Weighing Relative Risks. Lee S. Cohen, MD; Ruta Nonacs, MD, PhD
JAMA Psychiatry. Published online October 12, 2016. doi:10.1001/jamapsychiatry.2016.2705

Antidepressant use in pregnancy and the risk of cardiac defects. Huybrechts KF, Palmsten K, Avorn J, et al.  N Engl J Med. 2014;370(25):2397-2407.

-Antidepressant use late in pregnancy and risk of persistent pulmonary hypertension of the newborn. Huybrechts KF, Bateman BT, Palmsten K, et al.  JAMA. 2015;313(21):2142-2151.

-Acute and long-term behavioral outcome of infants and children exposed in utero to either maternal depression or antidepressants: a review of the literature. Suri R, Lin AS, Cohen LS, Altshuler LL. J Clin Psychiatry. 2014;75(10):e1142-e1152.

-Newborn neurobehavioral patterns are differentially related to prenatal maternal major depressive disorder and serotonin reuptake inhibitor treatment.  Salisbury AL, Wisner KL, Pearlstein T, Battle CL, Stroud L, Lester BM. Depress Anxiety. 2011;28(11):1008-1019.

-Prenatal maternal depression associates with microstructure of right amygdala in neonates at birth. Rifkin-Graboi A, Bai J, Chen H, et al.  Biol Psychiatry. 2013;74(11):837-844.

-Association of selective serotonin reuptake inhibitor exposure during pregnancy with speech, scholastic, and motor disorders in offspring.  Brown AS, Gyllenberg D, Malm H, et al. [published online October 12, 2016]. JAMA Psychiatry. doi:10.1001/jamapsychiatry.2016.2594

-Can nonrandomized studies on the safety of antidepressants during pregnancy convincingly beat confounding, chance, and prior beliefs?  Palmsten K, Hernández-Díaz S.  Epidemiology. 2012;23(5):686-688.

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