DEPRESSION: un traitement révolutionnaire

La Kétamine est une molécule déjà bien connue des anesthésistes. Elle serait en passe de d’engendrer l’obsolescence immédiate des traitements actuels de la dépression. Bien qu’on dispose déjà de médicaments ayant fait preuve de leur efficacité sur la dépression modérée à sévère [il n’est pas question des dépressions légères, accessibles à la simple psychothérapie, voire à l’effet « prise en charge » aspécifique qui fait la fortune des pata-thérapeutes aux méthodes non éprouvées], force est de constater qu’un tiers des dépressions se révèleraient résistantes aux traitements antidépresseurs usuels. Compte tenu de la prévalence importante de la dépression dans la population générale, on comprend vite que ces dépressions rebelles constituent un véritable enjeu de Santé Publique.

Un médicament miracle pourrait bien supplanter les antidépresseurs classiques en offrant aux patients une probabilité d’efficacité bien supérieure, sur des délais d’action inespérés.

Le site spécialisé, Medscape, cherche à promouvoir un excellent article*, qui fait figure de référence internationale, sur le possible remède inespéré pour plusieurs troubles psychiques : la kétamine. Choisirunmedecin vous en propose la traduction intégrale.

*Ketamine for Treatment-resistant Depression: Recent Developments and Clinical Applications Jaclyn Schwartz; James W Murrough; Dan V Iosifescu Evid Based Ment Health. 2016;19(2):35-38.

Environ un tiers des patients souffrant de trouble dépressif majeur (TDM) ne répondent pas aux antidépresseurs disponibles actuellement. Ceux qui y répondent favorablement doivent attendre généralement plusieurs semaines à quelques mois pour obtenir un effet significatif. Il existe donc clairement une nécessité d’agir plus rapidement sur la dépression, à l’aide de traitements plus efficaces.

Les auteurs de cet article passent en revue les découvertes récentes portant sur la kétamine [un ancien agent anesthésique qui s’est montré prometteur comme antidépresseur à action rapide chez les patients résistants aux traitements usuels de la dépression unipolaire], en se focalisant sur les aspects cliniques les plus essentiels, tels que la dose thérapeutique, la voie d’administration et de la durée de maintien du bénéfice obtenu.

De nouvelles données suggèrent, de plus, que la kétamine pourrait être efficace chez les patients souffrant de dépression bipolaire, d’un état de stress post-traumatique et d’idéations suicidaires aiguës. Les auteurs discutent enfin de la sécurité d’usage de la kétamine : les perturbations neuropsychiatriques, neurocognitives et cardiovasculaires sont pour la plupart de courte durée; mais, les effets à long terme de la kétamine sont encore peu connus.

L’article conclue enfin par l’actualisation d’informations fondamentales concernant la kétamine, à destination des prescripteurs . Elles illustrent l’émergence de nouvelles données susceptibles de soutenir son usage potentiel dans la pratique médicale, et soulignent la nécessité d’enquêtes plus approfondies de ses effets à court et long terme.

 

Introduction

Le trouble dépressif majeur unipolaire (TDM) affecte environ 350 millions de personnes, ce qui en fait la principale cause d’invalidité dans le monde entier, associée à des conséquences néfastes en terme de santé publique. [1,2] Les traitements antidépresseurs actuellement prescrits, ciblant le système monoaminergique (inhibiteurs sélectifs de la recruter de la sérotonine), seraient susceptible de soulager les symptômes dépressifs chez la moitié seulement des patients. [3] Ces taux chutent significativement chez les patients qui n’ont pas été améliorés, par l’essai de deux antidépresseurs ou plus, à des doses et sur une durée adéquates (critères de chimiorésistance). [4] Il en résulte des expositions inutiles, sur des durées prolongées, à des médicaments qui s’avèreront inefficaces. En outre, les antidépresseurs nécessitent généralement un délai de 6 à 12 semaines avant de pouvoir évaluer leur éventuelle efficacité. Il y a donc clairement un besoin inassouvi en antidépresseurs plus efficaces et à action rapide.

De nouvelles preuves en faveur d’un dérèglement du système glutamatergique et de la neuro-plasticité dans la dépression [5] a guidé la recherche sur de nouveaux traitements antidépresseurs alternatifs. La kétamine a une action sur le système glutamatergique, par antagonisme direct du récepteur N-méthyl-D-aspartate. Inscrite par l’O.M.S* sur la liste des médicaments essentiels, elle est utilisée comme anesthésique et prescrit hors A.M.M pour traiter la douleur chronique. [6,7] Depuis 2006, la recherche sur l’utilisation de la kétamine comme traitement de la dépression a montré que des doses infra-anesthésiques (0,5 mg / kg), administrées par voie intraveineuse (IV) durant 40 Minutes de perfusion, peuvent avoir des effets antidépresseurs de survenue rapide sur les patients atteints de dépression résistante. [8-10] Les mécanismes présumés des effets antidépresseurs de la kétamine impliqueraient l’activation de la plasticité synaptique par augmentation de la synthèse et de la sécrétion d’un facteur neurotrophique (BDNF), ainsi que par inhibition enzymatique de la glycogène-synthase-kinase-3 (GSK-3). [11,12] Le BDNF est également associé à la réponse clinique aux antidépresseurs classiques. Alors qu’il faut plusieurs semaines pour agir sur la plasticité synaptique induite par les antidépresseurs classiques via l’action du BDNF, les mêmes modifications de plasticité synaptique semblent se produire en quelques heures seulement après l’administration de la kétamine. [13] Les modèles animaux suggèrent que c’est l’inhibition de la GSK-3 dans l’hippocampe et dans le cortex préfrontal qui permettrait cet effet rapide sur la dépression. [11,12] Les publications récentes, traitant de la kétamine dans la dépression, ont portée sur la sécurité d’usage, les différentes méthodes d’administration et l’efficacité de la kétamine sur les différents symptômes de la dépression. Ils étudient également les risques inhérents aux abus d’usage de la kétamine en dehors des paramètres médicaux. Ces études sont menées en partenariat avec le département de recherche sur les critères d’utilisation des nouveaux traitements de l’Institut National de Santé Mentale Americain (NIMH). [14,15] La présente revue de la littérature se concentre sur le développement récent de l’utilisation de la kétamine, ainsi que sur ses applications cliniques en soins primaires et secondaires.

 

Méthode

Les auteurs ont recueilli les articles pertinents par recherche, via les bases de données médicales de PubMed et de Google Scholar,  des publications éditées entre 1980 et Février 2016. Aucune restriction de langue n’a été appliquée. La recherche a inclus les mots clés « dépression », « kétamine », « chimio-résistance », « soins primaires », « antidépresseur ». Ils se sont concentrés sur les essais cliniques, parmi lesquelles les études ouvertes et les études randomisées. Les références bibliographiques desdits rapports identifiés ont été également utilisées pour trouver d’autres publications.

 

Comment les caractéristiques des patients peuvent prédire la réponse au traitement et la durée de l’effet obtenu ?

Plusieurs essais cliniques suggèrent qu’une seule dose de kétamine, faible (0,5 mg / kg), et injectée en IV montre des résultats significatifs, avec un taux de réponse de 50-70% chez les patients présentant une dépression résistante. [16] Des recherches supplémentaires ont montré que les patients déprimés peuvent obtenir un soulagement des symptômes dans les 2 heures qui suivent l’injection. L’effet thérapeutique peut durer jusqu’à 2 semaines après une seule administration de kétamine intra-veineuse. [13]

Les grandes différences d’estimations dans la durée de maintien de l’effet antidépresseur de la kétamine résultent des différences inter-individuelles dans les populations étudiées au sein des essais sur la kétamine. Cette grande variabilité repose sur des caractéristiques telles que l’âge, le sexe, la durée d’évolution de la dépression, l’ancienneté des épisodes dépressifs traités, ainsi que sur les comorbidités (telles que le trouble d’anxiété généralisée, le stress post-traumatique, le trouble bipolaire). [17] Afin de remédier à cette incertitude, Romeo et ses collaborateurs [17] ont mené une méta-analyse basées sur six études randomisées contre placebo reprenant les résultats d’essais « cross-over », randomisés en double aveugle. Comparée au placebo, la kétamine y a considérablement réduit la sévérité de la dépression entre le 1er et le 7ème jour post-perfusion dans le cas de la dépression unipolaire, mais seulement entre les jours 1 à 4 dans le trouble bipolaire. [10,17] Même si l’objet de cette étude porte sur la dépression majeure unipolaire, il est important de noter que la kétamine était associée à une plus grande amélioration aux jours 1, 2, 3, 4 et 7 chez les participants souffrant de dépression majeure unipolaire comparée à la dépression bipolaire. [17] L’apparente durée plus courte de effet de la kétamine dans la dépression bipolaire est essentielle pour la planification de la fréquence d’administration du traitement dans la pratique clinique.

Toujours pour répondre à l’hétérogénéité des échantillons étudiés, des méta-analyses ont évalué l’impact de troubles anxieux comorbides, de l’histoire des prescriptions passées, ainsi que de l’ancienneté du trouble dépressif et de l’épisode en cours, pour rendre compte des différences observées dans l’amélioration de la dépression par la kétamine comparée au placebo. Aucune relation significative n’a été trouvée entre l’une de ces variables et les différences moyennes de rémission sous kétamine et sous placebo. [17] Ceci est cliniquement très important, car toutes ces variables cliniques sont traditionnellement associés à une mauvaise réponse aux antidépresseurs traditionnels. [18]

Il convient de noter, que la kétamine IV a également été rapportée comme efficace dans le traitement du stress post traumatique. [19] La kétamine peut donc se révéler bénéfique pour ces populations, qui sont moins susceptibles de réagir aux antidépresseurs classiques.

En outre, dans l’évaluation des différences entre les répondeurs à une seule perfusion de kétamine IV par rapport aux non répondeurs, il n’y avait pas de différence dans les nombreuses caractéristiques démographiques et cliniques. [16] Un test neuropsychologique montre tout au plus qu’une vitesse de traitement plus lente au départ du traitement prédit une plus grande amélioration de la dépression dans les 24 heures post-administration. [20] Il faut noter que des études antérieures ont constaté une corrélation inverse pour les antidépresseurs classiques, une vitesse de traitement lente prédisant un mauvais pronostic. [21]

Au delà de ces résultats, un indice de masse corporelle élevé, les antécédents familiaux d’alcoolisme et la dépression anxieuse peuvent être considérés comme des prédicteurs cliniques de bonne efficacité au traitement par kétamine. [22]

Le traitement par kétamine, dans la pratique clinique, peut potentiellement cibler les patients sévèrement déprimés avec troubles cognitifs et/ou présentant de l’anxiété.

 

Est-ce que la voie d’administration (IV ou intranasale) et l’existence de traitement associé influe sur l’efficacité?

 

  • Le mode d’administration peut influencer l’efficacité de la kétamine dans le traitement du trouble dépressif majeur. Dans plusieurs méta-analyses, les symptômes de dépression sont significativement améliorés après l’administration intraveineuse de la kétamine par rapport au placebo. [9,14] Bien que plusieurs méta-analyses ont comparé la durée de l’effet antidépresseur de la kétamine IV par rapport à une prise intranasale (IN) [10,17] et ont conclu qu’il n’y avait pas de différence entre les deux voies d’administration, la comparaison est chaque fois basée sur une seule et unique étude concernant la kétamine en IN [23], à partir d’un échantillon de 20 participants seulement. De plus grandes études sur la voie IN d’administration, parrainées par Janssen, ont récemment été terminées ou sont encore en cours, en utilisant la S-kétamine (le S-énantiomère de la kétamine racémique) en intra-nasal. Celles-ci seront en mesure de mieux estimer la durée de l’effet, le dosage et la fréquence optimale de l’administration IN.

 

  • Il est également important d’étudier l’interaction entre les traitements antidépresseurs en courset la kétamine, voire l’intérêt d’une stratégie de potentialisation (par exemple, par les anxiolytiques, les neuroleptiques, les stabilisateurs de l’humeur). Dans la majorité des essais cliniques à ce jour un sevrage en médicaments concomitants a été un critère d’inclusion des patients. Seulement quelques-uns ont testé l’efficacité de la kétamine en complément d’un traitement antidépresseur en cours ou de la thérapie par électrochocs (ECT). Les deux modèles d’étude ont montré que la kétamine est efficace dans l’amélioration de la dépression. [8,9] Par conséquent, dans la pratique clinique, il ne serait pas nécessaire pour les médecins d’interrompre les traitements antidépresseurs en cours chez leurs patients. [9]

 

Efficacité d’une injection unique intra-veineuse comparée aux injections répétées.

Des doses uniques de kétamine en intraveineuse ont montré, chaque fois, un maintien de l’efficacité antidépressive pendant 7 jours. Peu d’études ont étudié les effets d’administrations répétées de kétamine. Lors d’un essai testant l’effet de six perfusions IV de kétamine réparties sur 2 semaines, 70,8% des 24 patients souffrant de dépression unipolaire et vierges de tout traitement, a présenté une durée moyenne de maintien de l’effet thérapeutique obtenu pendant 18 jours [24]; le niveau de réponse après les six perfusions IV de kétamine a été fortement prédite par la réaction obtenue 4 heures après la première perfusion.

En revanche, dans une étude portant sur 28 participants déprimés, unipolaires ou bipolaires avec un traitement antidépresseur en cours, on a procédé à trois ou à six injections IV de kétamine sur plus de 3 semaines; 29% des patients ont répondu au traitement par kétamine. [25] Dans cette étude, 11% des patients ont répondu dans les 6 premières heures qui suivirent la première perfusion, et l’intégralité des répondeurs à la kétamine avaient eu une réponse thérapeutique avant la troisième perfusion. La durée de maintien de l’effet après la dernière perfusion fut comprise entre 25 et 168 jours. [25]

En dépit de leurs différences, les deux études [24,25] ont conclu que la réponse à une série d’administrations répétées kétamine pourrait être prédite dès la première ou les deux premières perfusions. Ceci est très important pour la pratique clinique car la poursuite des administrations de kétamine ne serait justifiée que chez les patients ayant présenté une réponse précoce au traitement expérimental (dès les deux premières sessions).

Plusieurs études sont en cours pour étudier l’innocuité* et l’efficacité de perfusions répétées de kétamine. Une étude « multi-sites » comparant la kétamine administrées en IV suivant un protocole de deux fois par semaine ou de trois fois par semaine sur une période de 1 mois s’est récemment terminée; la publication des résultats est en cours. Une autre étude finalisée a exploré l’effet d’auto-administrations répétées de kétamine par voie intra-nasale sur une période de 2 semaines. D’autres essais cliniques complémentaires sont actuellement en cours pour étudier les effets à long terme des administrations répétées de kétamine, en sus d’un autre traitement antidépresseur. Les effets d’auto-administrations répétées auront également besoin de recherches plus approfondies puisque cette intervention prometteuse a l’intérêt d’une plus grande accessibilité, mais augmente également le risque de détournement (car l’effet ressenti à la prise de kétamine est susceptible de générer des abus en cette substance aux effets psychoatifs).

 

Effets de la kétamine sur les idées suicidaires, l’anhédonie et la cognition.

Les idéations suicidaires font parties des symptômes cliniques les plus fréquents dans la dépression et en constituent la principale cause de décès [26,27] La majorité des études portant sur l’efficacité de la kétamine sur la dépression excluaient les patients présentant un risque imminent de suicide. Cependant, les patients rapportant des idées suicidaires d’intensité modérée restaient inclus dans les essais cliniques. Les résultats montrent alors systématiquement une diminution significative des idéations suicidaires après l’administration de la kétamine. [9,27] Dans une étude évaluant l’effet de la kétamine sur la suicidalité de patients souffrant de dépression résistante, des  prises uniques de kétamine ont diminué à la fois l’intensité dépressive et les idées suicidaires, avec une amélioration qui se maintenait jusqu’à 2 semaines en cas de protocole de perfusions répétées. [28,27] Dans une étude portant sur 14 patients souffrant de dépression majeure avec idées suicidaires, admis aux urgences, une dose unique de kétamine (0,20 mg/kg) administrée sur 1-2 min (contrairement à la posologie la plus fréquente de 0,50 mg/kg administrée sur plus de 40 min) a réduit de façon significative l’intensité suicidaire, réévaluée à 40 min post-perfusion. [29,27] Une plus grande étude sur 24 patients suicidaires, présentant divers troubles l’humeur et des troubles anxieux, admis en unités d’hospitalisation psychiatrique, a montré une amélioration rapide (dans les 24 heures) des idées suicidaires après perfusion IV de kétamine par rapport au midazolam*. [30]  Cette amélioration rapide des idées suicidaires met en évidence l’utilité de la kétamine dans les situations cliniques qui nécessitent une intervention en urgence, par existence d’idées ou de comportements suicidaires. Il est encore difficile de déterminer les propriétés anti-suicidaire de la kétamine étant donné que les études de recherche excluent en général l’individu à haut risque suicidaire. Cependant, les recherches se poursuivent pour étudier les possibles mécanismes physiopathologiques neuro-inflammatoires qui sous-tendraient le risque suicidaire et expliqueraient donc les propriétés pharmacologiques de la kétamine. [27]

Une revue des propriétés anti-suicidaires de la kétamine montre une réduction significative des cognitions négatives et de l’anhédonie après son administration, fournissant des preuves sur les effets protecteurs spécifiques de la kétamine pour la survie. [27] Ue autre revue de la littérature, composée d’études cliniques ouvertes, révèle qu’une intensité sévère d’idéation suicidaire avant le traitement peut être associée avec une meilleure réponse au traitement dans les 24 heures qui suivent l’administration de kétamine. [31] Des recherches récentes suggèrent, en outre, que les effets anti-suicidaires spécifiques de la kétamine pourraient être liés à l’amélioration des fonctions cognitives, émotionnelles, et exécutives (de la mémoire, de la flexibilité cognitive, de la capacité de planification et d’inhibition comportementale, par exemple); impliquant les réseaux neuronaux du cortex préfrontal sur l’amélioration de la dépression comme sur la cognition. [31] Lally et ses collaborateurs [32] ont également rapporté que, suite à une seule dose de kétamine en IV, 87% des patients montrait une amélioration de leur anhédonie 4 heures après la perfusion. Comme l’amélioration de l’anhédonie était corrélée avec l’amélioration de la dépression en générale, [32] il est difficile de savoir si l’amélioration de l’anhédonie est vraiment spécifique (ou simplement provoquée par l’effet antidépresseur global). Étant donné qu’une déficience du système de récompense du cerveau est associée à la dépression, la suicidalité et l’anhédonie, il est probable que les cibles de la kétamine comprennent ce circuit neuronal, qui concerne la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur, le cortex orbito-frontal, l’hippocampe et les noyaux gris centraux. [15, 31,33]

Il est important que les médecins soient conscients que les tableaux cliniques, incluant la dépression sévère, l’anhédonie, les idées suicidaires et/ou des troubles cognitifs ont été particulièrement associés à des résultats positifs après administrations de kétamine en IV.

 

Sécurité et risque d’abus

La kétamine est reconnue comme sûre et efficace en tant qu’anesthésique chez l’enfant et l’adulte, à des posologies comprises entre 1 et 3 mg/kg. [16] Lorsqu’on l’utilise comme traitement de la douleur et de la dépression, la kétamine est administrée à des doses allant de 0,1 à 1 mg /kg. Ces quantités infra-anesthésiques peuvent toutefois être associées à des effets neuropsychiatriques de courte durée, parmi lesquels des troubles neurocognitifs, des troubles sensori-moteurs ou dissociatifs. On note également de brèves augmentations de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. [16] Jusqu’à 4 h après l’administration de la kétamine, les effets indésirables fréquemment relevés incluent des étourdissements, une vision floue, des maux de tête, des nausées et/ou des vomissements, une sécheresse de la bouche, une agitation psychomotrice et des troubles de la coordination ainsi que de la concentration. [8] Les publications internationales qui étudient l’effet de la kétamine sur la dépression, recensées par des méta-analyses, ne signalent que des effets secondaires bénins, tels que : bouche sèche, tachycardie, ainsi qu’une augmentation de la pression artérielle et des phénomènes de dissociation, survenant pendant les 40 min d’administration de la kétamine et brièvement après. [8,9,14] Quoi qu’il en soit, les patients ayant des antécédents de maladie cardio-vasculaire justifient une surveillance tensionnelle attentive, puisque que des élévations brèves de la pression sanguine pourraient s’avérer problématique. [9]

Historiquement, la kétamine a été utilisée comme une substance à visée récréative. [15] Les potentiels abus  d’usage doivent donc constituer une préoccupation clinique et un axe de recherche nécessaires. Comme l’utilisation de kétamine pour traiter la dépression reste encore un traitement expérimental, il est important de tenir compte des éventuels effets non encore observés sur le long cours, fonction des posologies et des fréquences d’administration. Une utilisation sur le long terme de la kétamine nécessite de surveiller régulièrement les éventuels effets secondaires, tels que les troubles cognitifs légers ou les cystites urinaires. [22] Compte tenu de l’incertitude portant sur les effets de la kétamine administrée au long cours à des doses infra-anesthésiques, il est important de connaître et repérer la survenue de troubles cognitifs connus chez les usagers de cette substance (tout en reconnaissant que les usagers mélangent fréquemment les multiples substances psychoactives dont ils abusent). Les abuseurs réguliers de kétamine présentent en effet des troubles de la mémoire sur 1 an. [31] Cependant, les patients déprimés résistants qui se voient administrer de la kétamine IV, à moins fréquence et à des doses plus faibles, montrent, eux, une amélioration des leurs performances cognitives. [31]

 

Le rôle des médecins de première ligne et des spécialistes

 Les médecins généralistes, en première ligne, doivent connaître la prévalence élevée des dépressions, la fréquence des résistances en leur sein, ainsi que la sévérité du handicap qui en découle. Ce sont ces praticiens qui seront couramment le premier contact médical pour les patients souffrant de dépression. [34] Étant donné que les antidépresseurs actuels sont inefficaces chez environ un tiers des patients présentant une dépression majeure [8], il est important pour les médecins de savoir repérer ces chimio-résistances et d’être au courant des traitements alternatifs émergents tel que la kétamine. Un relai vers des soins spécialisés et/ou des consultations auprès de psychiatres peuvent être nécessaires pour les patients difficiles à traiter. [34] Cette coordination entre généralistes et spécialistes est essentielle pour traiter efficacement une maladie omniprésente, comme la dépression. Comme la kétamine est approuvée comme anesthésique par la Food and Drug Administration (FDA), mais pas encore comme antidépresseur, c’est hors A.M.M* que certains spécialistes (psychiatres et/ou anesthésistes) administrent la kétamine  dans la pratique clinique. La voie d’administration et la posologie se basent sur les résultats prometteurs montrés par les essais cliniques, tout en reconnaissant que très peu d’informations existent pour guider le traitement initié par kétamine au delà des 6 à 12 premières perfusions. Des institutions mènent actuellement des essais en recherche clinique sur l’optimisation des effets de la kétamine. Il n’y a donc pas encore de protocole normalisé pour l’administration de la kétamine sur la dépression, en dehors du cadre de la recherche. À ce jour, tous les essais contrôlés randomisés sur la dépression résistante ont utilisé une dose de 0,5 mg/kg avec des preuves convergentes et prometteuses d’efficacité. Cependant, une étude en cours parrainé par le NIMH américain établirait, plus largement, la dose optimale de kétamine par voie intraveineuse, pour la dépression résistante, dans une fourchette thérapeutique comprise entre 0,1 et 1,0 mg/kg.

 

Conclusion

Un nombre croissant de recherches confirme la grande efficacité de la kétamine comme traitement à action rapide sur la dépression unipolaire résistante au traitement, la dépression bipolaire et le stress post-traumatique. Pour aboutir à une utilisation plus large et plus accessible de la kétamine, il est indispensable que les médecins soient informés des conditions strictes dans lesquelles la kétamine a été étudiée, y compris sur les critères de bonne réponse au traitement au sein des mêmes essais cliniques. Pour qu’un spécialiste puisse recommander de manière appropriée ce traitement, il est nécessaire qu’il soit familiarisé avec les facteurs prédictifs de la réponse clinique, parmi lesquels un IMC élevé, les antécédents familiaux d’alcoolisme (lien de premier degré), la dimension anxieuse de la dépression [22] et le ralentissement cognitif (faible vitesse de traitement). [35] Cependant, les larges écarts dans la durée de maintien de la réponse thérapeutique, ainsi que la diversité de présentation clinique des épisodes dépressifs, font qu’il reste difficile de prédire l’efficacité de la kétamine. [22] Les recherches en cours examinent les possibles prédicteurs biologiques de réponse à la kétamine, notamment, en génétique et par des facteurs neurobiologiques centraux et périphériques [22] ; mais il est prématuré de recommander leur application dans la pratique clinique. L’effet antidépresseur de la kétamine dépend fortement de processus biochimiques en lien à une interaction ciblée avec le récepteur du glutamate, qui doivent encore être compris chez l’homme, afin de potentiellement pouvoir développer des procédures appropriées pour la prescription  de la kétamine. [22]

 

En conclusion, un nombre important d’études soutiennent l’efficacité de la kétamine comme un traitement à action rapide pour les patients atteints de dépression résistante, alors que certaines études suggèrent également une efficacité dans la dépression bipolaire, le stress post-traumatique et chez les personnes qui présentent des idées suicidaires aigues. À ce stade, les cliniciens et les patients doivent être conscients du niveau limité d’information disponible concernant le dosage optimal et les supposés effets à long terme du traitement par kétamine. Il est légitime, cependant, de se montrer relativement optimiste et de considérer que la kétamine a bien le potentiel pour devenir un outil très important dans le traitement des troubles de l’humeur sévères et des troubles anxieux.

 

 

Lexiques

  • O.M.S: Organisation Mondiale de la Santé.
  • innocuité: qualité (de quelque chose) qui ne cause aucun dommage matériel, principalement organique.
  • midazolam: molécule appartenant à la famille des anxiolytiques benzodiazépines.
  • A.M.M: Autorisation de Mise sur le Marché.

 

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