PALMARES DES HOPITAUX ?

Pendant que certains s’offusquent encore que Choisirunmedecin.com ose encourager les patients à échanger leurs expériences personnelles – en évaluant l’accessibilité du cabinet de leur médecin par les transports en commun, ou encore en renseignant les futurs éventuels usagers sur le retard habituel de leur praticien lors de ses consultations quotidiennes – il existe un classement annuel, bien plus ambitieux, qui semble désormais entré dans les mœurs, au même titre que l’indétournable Eurovision de la chanson (c’est dire…) Ce crime de « lèse majesté » n’engendre même plus de levée de boucliers chez les principaux intéressés : les médecins, leurs représentants syndicaux et/ou ordinaux.

En effet, depuis 18 ans, le journal Le Point publie son « Palmarès des Hôpitaux et Cliniques ». Il n’y est pourtant pas seulement question d’évaluer le confort offert par les établissements de soins, ou la qualité des repas qui y sont distribués, mais – tenez-vous bien – le niveau des soins qui y seraient délivrés !

Un « Hit Parade » de la Santé, répartie par secteurs géographiques, semble donc reconnu de tous depuis près d’une génération. Interrogeons-nous sur la pertinence de cette démarche et sur le crédit à attribuer aux résultats, tant attendus du grand public.

 

 

Lorsqu’on connaît la complexité de fonctionnement du système hospitalier – l’hétérogénéité du personnel, le turnover  des internes en médecine qui y officient, la co-existence de plusieurs services dévolus à la même spécialité au sein d’un même Centre Hospitalo-Universitaire, la diversité des interventions pratiquées par un même service – il paraît difficile de savoir quelle interprétation donner aux résultats qui nous sont délivrés de l’hebdomadaire. Avouons néanmoins l’attractivité liée à la simple perspective de pouvoir rechercher où se situe son établissement de proximité par rapport aux régions voisines, et le plaisir savouré si, par cas, celui-ci devait précéder quelque célèbre établissement parisien au passé historique. On peut imaginer, que choisirunmedecin.com – oui, même choisirunmédecin.com – rechignerait pourtant à établir un classement annuel des départements, en fonction des soins dentaires qui y sont prodigués… On y observerait que les caries sont mieux soignées en Aquitaine qu’en Picardie, pendant que la Creuse domine la nation pour le nombre d’ablations de dents de sagesse par habitant…

 

Cette comparaison peut paraître caricaturale, voire même injustifiée puisque les auteurs du palmarès du Point ont l’honnêteté intellectuelle d’éditer la méthodologie de leur ambitieuse étude.

Avant de parcourir ladite méthodologie, reconnaissons à ce journal de nous offrir une illustration flagrante d’une dérive inhérente à l’information médiatique de masse. Même lorsque les outils sont proposés aux lecteurs pour aiguiser son analyse critique, quelle est la proportion des lecteurs du Point (dont les ventes restent traditionnellement « boostées » par le classement estival des hôpitaux) qui se donnera la peine de prendre connaissance de la méthodologie de notation, détaillée par leurs auteurs ?

Une question analogue se posait, il y a quelques, mois lorsque cette même revue titrait en Une: «Les prouesses de l’hypnose: Comment elle soigne dépression, addiction au tabac et à l’alcool…» Les lecteurs avisés – qui auront pris connaissance de l’article dans le cœur de l’hebdomadaire – auront eu la chance de découvrir (outre un intérêt confirmé dans certains type d’anesthésies et dans l’aide à la gestion de la douleur) qu’il n’existe aucune information probante concernant une efficacité validée sur ces maladies – pourtant énumérées en première position dans le titre accrocheur du journal. Saluons toutefois, ici encore, l’honnêteté intellectuelle des auteurs dudit article dans son contenu, probablement trahis par des réalités marketing qui les dépassent… « Les incertitudes de l’hypnose : comment elle peine à faire preuve de son efficacité…» aurait été moins vendeur, reconnaissons le.

 

Revenons à la méthodologie de notre «Palmarès». Vous pourrez la trouver, en dernière page du magasine, en vis-à-vis des annonces immobilières de prestige promues par Sotheby’s … Curieux. Il semblerait qu’une démarche rationnelle (celle qui régie la publication des articles médicaux, par exemple) voudrait que la description de cette méthodologie précède les résultats.

Le premier paragraphe consiste en une déclaration d’absence de conflits d’intérêt. Il est important de l’avoir notifié. Reconnaissons le aux auteurs.

On apprend qu’un questionnaire a été envoyé aux établissements: «l’essentiel des questions portant sur les moyens matériels et humains dont disposent ces structures… » L’envoi des questionnaires a eu lieu le 6 Mars 2015 et les réponses recueillies jusqu’au 21 Avril 2015. Le questionnaire a été retourné par 247 hôpitaux sur 521 envois (47 %), 328 cliniques sur 563 (58 %)… les cliniques ont-elles plus de temps à accorder aux attentes de la presse ? ont-elles une plus haute considération pour l’information de leurs patients ? On n’ose imaginer d’autres hypothèses explicatives pour l’écart entre service public et privé…

Le second temps de l’étude, consiste en un recueil d’informations via la base données des P.M.S.I (Programme médicalisé des systèmes d’information). Il s’agit d’une comptabilité des cas accueillis, traités sur une année, suivant certains critères, parmi lesquels: une évaluation de leur état de santé à l’entrée et à la sortie du service d’accueil. Cette politique de traçabilité des soins a été à l’origine d’un véritable mouvement de défiance de la part de grand nombre de soignants – craignant (à tort ou à raison) de voir un jour leur budget réévalué à la hauteur de leur performance. Les dossiers sont évidemment anonymés. Les praticiens peuvent être considérés, en pratique, comme «juge et parti». Pour les informations délivrées, il leur a été demandé d’évaluer eux-même leurs résultats… Ce sont pourtant ces données que Le Point pense être susceptibles «d’évaluer finement les actes médicaux et chirurgicaux pratiqués dans chaque établissement (sic)».

Le troisième paragraphe de méthodologie, nous énumère une série de critères qui a alors été définie: Activité, Notoriété, Ambulatoire, Technicité, Spécialisation, Coeliochirurgie, Indice de gravité des cas traités, Evaluation de la mortalité. Le journal nous précise que « pour plus de détails, il est possible de {leur} écrire »… Aïe… Compte tenu de la faible proportion de lecteurs qui seront arrivés jusqu’à cette dernière page du journal, on peut craindre que rares seront ceux qui pousseront l’obsessionnalité et/ou la paranoïa à aller demander plus de détails à la rédaction…

On apprend enfin, et surtout, que chaque critère a fait l’objet d’une pondération particulièreCette pondération particulière mérite probablement d’être classée dans la liste – très restreinte – des grands secrets de fabrication, farouchement gardés par leurs auteurs. Cette pondération permettrait de comparer et hiérarchiser l’apport d’un kinésithérapeute, à celui d’un orthophoniste, avec le niveau de technicité du modèle d’IRM de dernière génération dans un service de prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (exemple cité par Le Point dans sa méthodologie). Elle intrigue, à ce titre, autant que l’éternel secret qui protège la subtile alliance d’arômes à l’origine du plus célèbre des colas… ou encore la listes des mystérieux ingrédients de la garbure de  grand-mamie…

Méa-culpa, il est facile de pointer du doigt les insuffisances de cette tentative de classement, d’en moquer le profil « marketing », de même qu’il est parfois aisé de repérer les biais méthodologiques parmi des études scientifiques, pourtant publiées dans des revues internationales… Peut-être ne faut-il pas pour autant condamner la démarche qui sous-tend cet article. Il est impossible d’exclure tout intérêt à ces recueils d’informations sur le simple argument que la méthode utilisée est imparfaite. Pourquoi jeter l’opprobre sur une tentative de réattribuer aux usagers (le terme de patient est probablement désormais obsolète) un droit de regard et de critique, sur une corporation qui a longtemps cru pouvoir s’y soustraire, bien qu’à leur service ?

Reste, qu’il y a quelque chose de gênant à imaginer un professeur hospitalo-universitaire découvrir que son service n’est pas-même cité parmi les établissements de sa spécialité – peut-être parce que sa secrétaire a eu la « mauvaise idée » de prioriser la rédaction des courriers médicaux à sa réponse au formulaire Le Point !… En dépit de son abnégation quotidienne à rester attaché à un service public qui lui promet des émoluments bien moindre que les sirènes du privé, il sait que l’opinion publique attribuera valeur de vérité à ce qui est écrit dans les médias. Le regard inquiet de son patient qui prend connaissance du dernier numéro de la revue, acheté au Relais H, sera-t’il pour autant justifié ?

Finalement, est-ce l’information médiatique qui doit être «muselée» ou le sens critique de ses lecteurs qui doit être développé ? …  Ecrivons tous à Le Point pour leur demander les «plus de détails» proposés, et la recette de sa fameuse «pondération particulière» !

 

Sources: Le Point n°2241 (20 Aout 2015)

1 Comment

  1. Nathalie | | Répondre

    Si je peux avoir votre mail pour contact

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