PLACEBO: arnaque ancestrale ou révolution thérapeutique ?

Combien de fois vous êtes-vous répété que : « c’est peut-être du placebo, mais sur moi ça marche ! », voire « en tout cas, si ça fait pas de bien, ça fait pas de mal », ou encore (comme tout parent, face aux bobos sans gravité du quotidien)  « il est indéniable que chez les enfants, l’effet est immédiat… » ?

Alors que ces déclarations désolent les adeptes du rationalisme scientifique, il semblerait qu’elles soient en  passe de se révéler comme des réalités médicales, inattendues mais prometteuses. Les paradigmes du placebo seraient-ils entrain de changer ?  Vive la « psychosomatique » décomplexée !

 

Préambule

L’effet placebo est définit comme un effet bénéfique, lié à l’administration d’une substance pharmacologiquement neutre (inactive). Jusqu’à peu, on pensait qu’il ne pouvait agir que lorsque ladite substance placebo était administrée en lieu et place d’un principe actif, sans que l’usager ne soit informé de la supercherie.

L’usage du placebo dans les études épidémiologiques est incontournable (en tant que référence au traitement à évaluer). Le recours au placebo y reste néanmoins étroitement encadré par des commissions d’éthique, chargées d’un avis préalable à l’adoption des protocoles expérimentaux.

Quant à l’effet thérapeutique du placebo, il serait donc tributaire d’un pieux mensonge, dit thérapeutique: « Prenez ! C’est un traitement reconnu qui a fait ses preuves, nos ancêtres l’utilisaient déjà il y a 100 000 ans… » Bien que cette manipulation s’avère implicitement acceptée de tous, des controverses demeurent :

Est-il acceptable de mentir à un patient, sous prétexte que le médecin évalue que « c’est pour son bien » ?

 

On nous mentirait ?

Certains sceptiques suspectent une bonne partie des remèdes disponibles en officine d’appartenir à la grande famille des placebos – curieusement, sans que cette haute lignée ne soit officiellement revendiquée.

La bonne foi du producteur

Il suffirait aux laboratoires de feindre de croire véritablement à leur efficacité, pour se dédouaner de facto d’un quelconque mensonge envers leurs clients. L’affaire est donc entendue : personne ne pourra prouver quel est le véritable crédit qu’un producteur d’élixir miracle voue à sa dernière trouvaille.

L’innocuité apparente

Cette question n’intéresse d’ailleurs pas beaucoup l’usager, trop satisfait de pouvoir recourir à un remède totalement inoffensif. Cette panacée est, bien entendue, accessible à tous, sans ordonnance, car non considérée comme un médicament (pas d’A.M.M*).

Les promesses n’engagent que ceux qui les croient

Elle n’en est pas moins parée de nombreuses vertus, vantées sur un packaging attractif à l’aide d’habiles formules « chocs ». Les slogans publicitaires n’en restent pas moins habilement élaborés afin d’éviter le courroux de la concurrence pharmacologique.

L’indulgence des militants du « tout naturel« 

Les associations de consommateurs se montrent, elles, particulièrement indulgentes à ce sujet: « Pourvu que ça fasse pas de mal... » A une époque de grande défiance envers le lobby Big Pharma, il semble d’ailleurs plus attractif pour un traitement de se trouver en vente libre dans les vitrines fleuries des Magasins bio, plutôt que d’être délivré sur ordonnances par un pharmacien diplômé. L’efficacité véritable est devenue secondaire.

 

 

Et pourtant,  ça marche…

Bien que le mécanisme d’action du placebo sur le cerveau reste encore imparfaitement élucidé, son effet thérapeutique est évalué de façon objective et est reconnu comme indéniable depuis fort longtemps. Son action sur l’activité cérébrale devient même désormais visualisable grâce aux nouvelles technologies d’imageries fonctionnelles. En pratique, l’effet placebo est probablement employé depuis des temps ancestraux pour apaiser bien des maux.

Une place à part entière dans l’arsenal thérapeutique.

Tout être vivant serait sujet à l’effet placebo. La liste des symptômes sensibles à l’effet placebo s’allonge probablement à l’infinie. Douleur, stress, fatigue, insomnie, aptitude physique ou intellectuelle, l’usage du placebo permet d’obtenir une minoration des plaintes et/ou une amélioration des performances, sans exposer l’organisme aux effets indésirables des traitements pharmacologiquement actifs (médicaments). Il offre donc une alternative entre l’angoissante abstention thérapeutique (« mon médecin ne m’a rien prescrit pour mon rhume !« ) et la dangereuse surmédication de complaisance (« ouf, me voici sous antibiotique pour mon rhume ! »).

Le pieux mensonge

Pourtant, l’incontournable mensonge qu’il nécessitait a toujours constitué un frein déontologique majeur à l’usage du placebo thérapeutique. Dissimuler à un individu qu’il utilise un placebo pose différents problèmes éthiques, parmi lesquels :

  • comment concevoir le consentement éclairé d’un patient vis-à-vis d’une stratégie de traitement si on pense légitime, voire nécessaire, de lui dissimuler la vérité ?
  • l’usager qui découvre qu’il était l’objet d’un subterfuge (même par bienveillance), pourrait se sentir trahi, abusé, voire humilié.
  • quand la personne qui délivre le placebo observe une amélioration nette des symptômes décrits par le souffrant, il risque de mettre en doute, à tort, l’authenticité des plaintes exprimées par celui-ci.

Il existe donc un risque de détérioration de la relation thérapeutique, par perte de confiance du patient envers son thérapeute, … mais également du médecin envers son patient !

La fin justifie les moyens

On répondra que si le secret est bien gardé, ou -mieux encore- si les professionnels de santé parviennent à se convaincre, eux-même, de l’efficacité de la poudre de perlimpinpin, le risque de désillusion devient mineur.

Peut-être suffirait-il donc de ne pas trop chercher à évaluer quelles sont les approches thérapeutiques qui ont une efficacité spécifique véritable, ni à les distinguer de celles qui surfent sur le simple effet « prise en charge« … Grace à l’ignorance conjointe du patient et du soignant, une solution éthique au soin par placebo déguisé pourrait bel et bien exister ! En effet, il semble impossible désormais de compter sur la naïveté du seul patient. Sa traditionnelle  passivité et sa confiance aveugle ne semble plus correspondre à l’évolution des moeurs. Au contraire, la responsabilisation des patients, leur demande légitime d’informations médicales fiables et accessibles, les promettent plutôt au statut d’experts en leur santé. Donc, de décisionnaires de leurs traitements.

Alors, l’ignorance conjointe suffisamment salvatrice ? Hum… Difficile d’imaginer qu’une aliénation « bipartite » constitue la voie d’avenir du placebo.

Comment continuer néanmoins à recourir à l’inestimable effet placebo ? Faut-il vraiment se résoudre à en proscrire tout usage thérapeutique ?

 

 

La revanche de la science:

vers le placebo assumé, décomplexé !

Les implications idéologiques incitaient donc à se priver du recours à un placebo, pourtant si précieux (dans certains cas) et si inoffensif (dans tous les cas). C’est alors qu’une solution inattendue est envisagée par une étude récente. Elle se base sur la démonstration inédite que le placebo conserve un bénéfice pour la personne qui l’emploie… même si elle est avertie de son statut de placebo !

 Une découverte insensée

Ce résultat pourrait paraître anecdotique. Il se révèle, en fait, particulièrement révolutionnaire. Il n’est désormais plus nécessaire d’abuser le consommateur pour lui permettre de recourir à l’effet placebo. Il devient possible d’en concevoir l’usage, pour des affections bénignes, sans pour autant être l’objet de manipulations pseudo-médicales. Plus besoin d’accepter délibérément la désinformation des vendeurs de néant®, fussent-ils bien intentionnés. Leur commerce consistait à distribuer en toute impunité, et sous couvert de bienveillance pour la santé publique, de mystérieuses substances dites « thérapeutiques », prétendues totalement inoffensives mais sensées être miraculeusement efficaces:

Efficaces ?
  • Oui, selon l’étude ! Les personnes ayant accepter de se prêter à la prise quotidienne d’un placebo identifié ont déclaré en ressentir des bénéfices statistiquement supérieurs à ceux qui composaient le groupe « témoin » (absence de traitement). Pour être le plus efficace possible, le placebo doit être accompagné de conseils précis sur ses modalités d’administrations. Le respect strict de ces recommandations d’usage est apparu fondamental dans les différentes études portant sur le placebo « non dissimulé ». La ritualisation qui accompagne la prise du placebo est d’une importance centrale. Cette discipline requise doit permettre également d’appliquer des principes d’hygiène de vie, simples et bénéfiques. La Librairie Cochrane a mis en place un protocole d’expérimental, à grande échelle, afin de confirmer ces données préalables et de comprendre plus précisément les mécanismes d’actions des interventions placebos.
Inoffensifs ?
Nocebo
  • C’est peut-être plus compliqué qu’il n’y parait. Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que si l’effet placebo existe, son opposé existe également: l’effet nocebo ! Ce dernier prend racine dans la crainte nourrit envers la médication. Il est probable que l’utilisation novatrice du « placebo assumé » (reconnu et revendiqué comme tel) en minimisera les méfaits.
Retard de soins
  • En revanche, il est indispensable de rappeler que le simple fait de détourner les malades des traitements médicamenteux, validés par la science et recommandés pour une affection donnée, constitue déjà un effet indésirable inacceptable. Le placebo ne doit, en aucun cas, retarder l’initiation d’un traitement nécessaire, ni être considéré comme une alternative à un traitement curatif quand une situation médicale le requiert. Le placebo complète l’arsenal thérapeutique et permet de lutter contre les méfaits de la surmédication. La frontière qui sépare les traitements spécifiquement actifs des recours bénéfiques aux placebos doit être clairement établie. Des précisions sur cette limite doit être accessibles pour le patient sans aucune ambiguïté ! Il est de la responsabilité des professionnels de santé d’y veiller.
La médecine basée sur les preuves

Or, il existe une condition sine qua non pour respecter cette obligation:

On ne peut plus se retrancher derrière l’intérêt que constitue l’usage du placebo pour tolérer le flou qui entoure l’effet réel des différentes approches thérapeutiques; ce, même si c’est « pour le bien du patient »… et de certaines industries florissantes…

Le contexte thérapeutique

Effet prise en charge. Conseils hygiéno-diététiques. Attention bienveillante. Simple effet du temps qui passe. Quelle que soit l’explication précise de l’amélioration des symptômes,  l’usage d’un placebo est justifié lorsqu’il permet l’attente de la guérison dans un contexte plus confortable, d’éviter le recours à des remèdes pires que le mal… et désormais, s’il n’implique pas une mystification volontaire…

 

Conclusion

 

Le temps est venu de développer l’usage rationnel du « placebo assumé », en santé publique. Parents, réjouissez-vous, il va vous être désormais possible de ne pas rester impuissants face aux bobos quotidiens de vos enfants, sans avoir à faire offense à leur intelligence.

Vous-même, allez pouvoir bénéficier d’une action thérapeutique inoffensive sur votre sommeil sans besoin pour autant de vous raconter des salades sur le pouvoir des fleurs !

« C’est peut-être un placebo, mais sur moi ça marche.. »  

Bien sûr ! On sait même désormais le mesurer et le prouver scientifiquement… et ça… ça change tout !

 

 

Références

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