NON le ventre n’est pas un second cerveau !!

Depuis plusieurs mois, des articles traitant de notre tube digestif se multiplient via les différents médias. Il y est fait référence à de mystérieuses découvertes que la science nous révélerait sur les pouvoirs de l’intestin, du microbiote et autres probiotiques.

Le magazine Le Point ne fait pas exception, et titrait ainsi cet été : « Le ventre, notre deuxième cerveau ». Devant cet engouement subit, il paraît légitime de s’interroger. Recherchons donc les spécificités qui justifient que nos intestins accèdent à de tels égards, que pourraient bien leur envier foies, reins et autres pancréas…  Reprenons l’article du Point afin d’y découvrir si les raisons de l’engouement médiatique pour l’inattendue comparaison (des tripes au cerveau) s’y révèlent évidentes.

De quoi parle-t’on :

Tube digestif ou micro-organismes qui y pullulent ?

 

microbiote

« Les scientifiques expliquent comment le microbiote influence notre santé et jusqu’à notre comportement. Enquête sur un secret bien gardé. » (Le Point)

Voilà comment l’hebdomadaire introduit le sujet présenté comme révolutionnaire.

Le microbiote… Qu’est-ce que c’est ? Selon wikipédia, »le microbiote est l’ensemble des micro organismes (bactéries, levures, champignons, virus) vivant dans un environnement spécifique (appelé microbiome) chez un hôte (animal ou végétal). Par exemple, le microbiote intestinal, anciennement appelé « flore intestinale », est constitué de l’ensemble des micro organismes vivant dans l’intestin. Soit chez l’Humain environ 100 000 milliards[…] »

Il apparaît vite une première ambiguïté: Il serait bon de préciser si on traite de l’appareil digestif proprement dit (partie de l’organisme qui s’apparenterait donc à un vice-cortex cérébral) ou de la multitude de micro-organismes qui y pullulent et y joueraient un rôle trop longtemps ignoré sur notre métabolisme.

Nous verrons que certains des arguments mis en lumière par les médias portent bien sur des caractéristiques propres à nos entrailles. Au préalable, vérifions l’état des connaissances sur le prétendu impact de la flore intestinale sur notre corps, voire « sur nos comportements » (sic).

L’utilisation de la Collaboration Cochrane* nous permet de recueillir les données scientifiques, supportées par les résultats d’études exploitables.

Revues Cochrane* portant sur l’effet thérapeutique du microbiote:

  • 2009: Effets des probiotiques sur la vaginose bactérienne ? NON « Les résultats ne fournissent pas suffisamment de preuves pour recommander les probiotiques dans le traitement de la vaginose bactérienne . En outre, il n’y a pas de preuve concluante pour recommander l’utilisation des probiotiques que se soit avant, pendant ou après un traitement antibiotique comme moyen d’assurer le succès du traitement ou de réduire le risque de récidive . »
  • 2015: Probiotiques pour la prévention de la diarrhée de l’enfant induite par les antibiotiques ? OUI MAIS..  « Des preuves de qualité moyenne suggèrent un effet protecteur des probiotiques dans la prévention de la diarrhée aiguë […] Bien qu’aucun événement indésirable grave n’ait été observé chez les enfants en bonne santé, des événements indésirables graves ont été déplorés chez les enfants immunodéprimés, sévèrement affaiblis ou présentant des facteurs de risque sous-jacents (comme l’utilisation d’un cathéter veineux central et les troubles associés à la translocation bactérienne / fongique) . Jusqu’à ce que de nouvelles recherches soient menées, l’utilisation des probiotiques devrait être évitée dans ces populations pédiatriques à risque. »
  • 2015: Les probiotiques dans la prévention des infections urinaires chez l’adulte et l’enfant ? NON « Il n’y a pas suffisamment de preuves pour déterminer si, oui ou non, les probiotiques réduisent le risque de survenue d’infections urinaires chez les populations sensibles (par exemple: aux antécédents d’ infections urinaires, femmes, filles en âge scolaire, hommes présentant une hypertrophie de la prostate, et personnes âgées ) par rapport à un placebo ou à une prophylaxie par antibiotique. Cette conclusion est limitée par le risque  élevé de biais parmi le petit nombre d’études disponibles, avec peu de rapports sur les dommages, sur la mortalité et sur les événements indésirables graves. »
  • 2008: Les probiotiques dans le traitement de l’eczéma ? NON « Les données suggèrent que les probiotiques ne sont pas un traitement efficace pour les symptômes de l’eczéma et ne sont pas efficaces pour le contrôle global de l’eczéma. […] »
  • 2011: Les probiotiques pour les personnes présentant une encéphalopathie hépatique ? NON « Nous n’avons pas trouvé de preuves convaincantes que les probiotiques aient un effet bénéfique (ni nuisible) significatif sur les patients atteints d’encéphalopathie hépatique. La qualité méthodologique des essais, à ce jour, est loin d’être optimale . Les probiotiques ne peuvent être recommandés sur la base de ces résultats. »
  • 2007: Les probiotiques en prévention des maladies allergiques et des intolérances alimentaires ? NON « Il n’y a pas suffisamment de preuves pour recommander l’apport de probiotiques à la nourriture des enfants pour la prévention des maladies allergiques ni des hypersensibilités alimentaires. Bien qu’il y ait eu une réduction de l’eczéma clinique chez les nourrissons, cet effet n’a pas été confirmé entre les différentes études et la prudence est recommandée en raison des défauts méthodologiques concernant les études incluses . »
  • 2010: Les probiotiques pour traiter les diarrhées infectieuses aiguës ? OUI  « Les probiotiques administrés en complément des principes de réhydratation ont entraîné de nettes réductions de durée et/ou de sévérité de la diarrhée, et ne sont pas associés à des effets indésirables. Cet avis concerne l’utilisation des probiotiques dans la diarrhée infectieuse aiguë. Cependant, la trop grande variabilité clinique des sujets entre les différentes études ne permet pas le recueil de données suffisantes pour préciser les régimes spécifiques de probiotiques pour des groupes définis d’enfants ou d’ adultes, nécessaires à l’élaboration de directives pour des traitements fondées sur les preuves . »
  • 2013: Usage des probiotiques en prévention de la diarrhée à Clostridium Difficile chez l’adulte et l’enfant ? OUI « […]Les probiotiques semblent être sûrs et efficaces lorsqu’utilisés comme complément aux antibiotiques chez les patients immunocompétents . »
  • 2006: Les probiotiques pour le maintien des rémissions dans la maladie de Crohn ? NON « Il n’y a aucune preuve que les préparations de probiotiques soient supérieurs au placebo ou aux aminosalicylés pour le maintien de la rémission chez les patients atteints de la maladie de Crohn. L’utilisation des probiotiques comme traitement d’entretien pour la rémission, médicalement ou chirurgicalement induite, dans la maladie de Crohn ne peut pas être recommandé pour le moment . »
  • 2012: Les probiotiques pour le maintien des rémissions des recto-colites hémorragiques ? NON « Les données disponibles ne supportent pas l’utilisation de probiotiques comme traitement d’entretien suite aux rémissions de la RCH. Aucune preuve n’a été trouvée pour soutenir l’utilisation de probiotiques comme une alternative à la mésalazine pour le maintien de la rémission dans la RCH. […] » 
  • 2014: Les probiotiques pour prévenir le diabète gestationnel ? PEUT-ÊTRE « Les résultats des études incluses ( impliquant 256 femmes ) suggèrent que les probiotiques peuvent réduire le risque de diabète gestationnel. Cela nécessite une confirmation par d’autres études et surtout parmi les populations à risque plus élevé de développer un diabète gestationnel. Les données sont insuffisantes pour déterminer l’effet des probiotiques sur la mort et la macrosomie fœtale ou néonatale. »
  • 2014: Les probiotiques en prévention des pneumopathies iatrogènes induites par assistance ventilatoire ? NON « Les résultats d’une méta-analyse précédente ont donné des résultats contradictoires concernant la prévention de la pneumonie associée à la ventilation (PAV) par les probiotiques. […] il n’y a pas suffisamment de preuves pour tirer des conclusions sur l’efficacité et l’innocuité de l’utilisation systématique des probiotiques pour la prévention de la PAV en unité de soins intensifs. Il n’y avait pas de preuve claire d’une réduction de la mortalité en soins intensifs à l’hôpital. Rien ne prouve que l’utilisation des probiotiques a été associée à une diminution de l’incidence des diarrhées ou en infections nosocomiales. »
  • 2016: Probiotiques dans la prévention du sepsis et de la colite ulcéro-nécrotique (CUN) chez le nouveau-né prématuré ? A SUIVRE… « Nous avons trouvé des preuves de qualité faible à modérée suggérant que la prophylaxie de la lactoferrine orale diminue la septicémie d’apparition tardive , le stade de CUN ≥ II , et la « mortalité toutes causes confondues » chez les nourrissons prématurés, sans présenter d’effet secondaire […]. Bien que la lactoferrine orale soit très prometteuse dans la prévention de la septicémie néonatale et de la CUN, des questions concernant le dosage optimal, le type ( bovine ou la lactoferrine humaine recombinante ), et la réglementation comme un additif alimentaire ou comme médicament , demeurent. »
  • 2013: Les probiotiques pour la diarrhée persistante de l’enfant ? A VOIR… « Les données actuelles sont prometteuses, mais peu concluantes. L’utilisation de probiotiques semble tenir sa promesse comme traitement adjuvant de la diarrhée persistante, mais il n’y a pas suffisamment de preuves pour recommander leur utilisation pour le moment. »
  • 2007: Effet des probiotiques sur la stéatose hépatique ? NON « En l’absence d’essais cliniques randomisés, il est impossible d’évaluer l’effet de l’administration de probiotiques chez les patients présentant une stéatose hépatique. Il n’y a pas de donnée pour appuyer ni réfuter l’utilisation des probiotiques dans la pratique clinique. Par conséquent, nous suggérons que les probiotiques ne soient pas utilisés pour cette pathologie en dehors des essais cliniques randomisés. »

 

Concernant les effets supposés du microbiote sur les affections psychiatriques, nous n’avons pas trouvé d’étude exploitable en faveur d’un effet thérapeutique prouvé des probiotiques sur les troubles psychiques. Tout au plus, une étude évoque la possibilité que les probiotiques puissent un jour constituer une cible thérapeutique de la dépression et de l’anxiété. La conclusion réservée des auteurs repose sur des hypothèses physiopathologiques, mais en aucun cas sur des résultats évalués chez le vivant (Ref. Gut emotions – mechanisms of action of probiotics as novel therapeutic targets for depression and anxiety disorders ).

 

 

Au total, les probiotiques semblent présenter un intérêt réel pour les diarrhées induites par antibiotiques/à Clostridium Difficile et des effets prometteurs dans le cas des diarrhées aiguës infectieuses et pour la prévention de la colite ulcéro-nécrotique chez le nouveau-né prématuré. Ils seraient susceptibles de réduire le risque de diabète gestationnel chez la femme enceinte…

Ces données sont tout à fait intéressantes. En revanche, ceux qui souhaitaient la confirmation des effets miraculeux promis par les médias, sur la dépression, l’anxiété, le sommeil et (pourquoi pas) le cancer, restent sur leur faim… Quand à l’action, évoquée par l’article du Point, du microbiote sur « nos comportements » … on cherche encore…

 

Voilà pour les hôtes de notre appareil digestif, mais quid du « tuyau » par lui-même ?

 

L’organe lui-même

 

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« Le ventre comme organe sensible et intelligent… » (Le POINT)

Puisque ce n’est pas dans l’action de notre flore bactérienne digestive (bien que tout à fait remarquable) qu’une comparaison au cerveau semble se justifier, observons donc les autres arguments mis en avant par le journaliste du Point.

Si on opère un recueil chronologique des ces arguments dans l’article, voici ce que l’on retient:

 

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Argument d’autorité

(inhérent au statut de l’auteur dont le journaliste vante l’ouvrage, donc au crédit que le lecteur est censé lui accorder).

Le journaliste introduit son sujet en nous encourageant à rendre ses lettres de noblesse à cet organe mal-aimé et se réfère en la matière au livre de Giulia Enders « Le charme discret de l’intestin ». Il semble désormais habituel que les journalistes spécialisés dans la santé puisent leur inspiration dans les derniers Best-Seller, issus de la littérature grand-public. Pour le thème de l’Anxiété (traité dans un précédent article), la légitimité de l’auteur s’était révélée comme contestable (Santé, Approximations et Mass Media… plus à un POINT près !).

Mais qui est donc, ici, Giulia Enders ? Wikipedia nous apprend qu’elle est une étudiante en médecine. Allemande, née en 1990 à Mannheim, elle est l’auteur du livre à succès Darm mit Charme (traduit en français par Le charme discret de l’intestin). Etudiante en doctorat en gastroentérologie à l’Université de Francfort, elle a remporté en 2012, le premier prix lors d’un Science Slam*, où les jeunes doctorants viennent présenter leur sujet de thèse devant un public de non-spécialistes. Son sujet  portait sur l’intestin et le microbiote intestinal. La vidéo de son intervention fut diffusée sur YouTube, et rencontra un succès non négligeable, en raison de l’approche pédagogique dont fit preuve Enders. À la suite de son intervention, et après avoir démocratisé la connaissance de l’appareil digestif auprès d’un « public restreint » comme elle l’explique dans sa préface, elle décide de publier un livre sur ce sujet : Darm mit Charme, illustré par sa propre sœur, Jill Enders. Le livre est publié en mars 2014 chez Ullstein-Verlag, et dépasse le seuil du million d’exemplaires au bout d’un an. Il a été traduit en 18 langues, dont l’édition française Le Charme discret de l’intestin.

Tentons donc d’être objectif. Si nous nous attendions à une usurpation totale de légitimité (tel que le témoignage de quelque sommité médiatique, atteinte de désordres intestinaux, qui livre sa méthode de guérison héritée d’un vieux sage rencontré dans une contrée lointaine), on est vite rassuré : L’auteur est médecin, spécialisé en gastroentérologie, et sa thèse de fin d’étude a été primée à un Science Slam*. Au sujet des Sciences Glam*, il fait préciser que les votes sont exprimés par des personnes qui ne présentent pas de compétences particulières pour juger de la pertinence des informations médicales délivrées. Ils font seulement part de l’intérêt et du plaisir qu’ils ont tirés de l’intervention du lauréat. Paradoxalement, si on effectue une rapide recherche sur PubMed*, on ne trouve pas de trace de la brillante Giulia Enders… Cela suppose que ladite thèse n’a pas été jugée d’un niveau scientifique suffisant et/ou l’enseignement qui en découle pas suffisamment novateur pour avoir justifié d’une publication dans une revue médicale, serait-ce de réputation mineure. Cette remarque permet de réévaluer la valeur réelle de l’argument d’autorité qui aurait pu soustraire le lecteur à son sens critique. Au total, l’auteur écrit donc sur un thème qui concerne directement sa profession et présente visiblement d’indéniable qualité d’écriture et de vulgarisation des sujets médicaux. Elle ne semble en revanche pas avoir été récompensée par ses pairs pour quelconques découvertes révolutionnaires. De même, elle n’a pas encore obtenu le prix nobel de médecine pour ses travaux sur le Microbiote…

Penchons nous cependant sur le contenu de l’ouvrage de référence et sur les arguments qu’il contient.

 

Argument anatomique

Pour assoir la comparaison de l’appareil digestif au cerveau, l’argumentaire du journaliste fait vite appel à l’artillerie lourde:

« l’intestin possède 200 millions de neurones, autant que dans le cerveau d’un… chat (???) »

 

Pourquoi Gros Minet semble-t’il subitement être devenu le « mètre étalon » de la performance neuronale ? Cette mesure peut paraître convaincante pour le lecteur, mais elle est en vérité tout à fait inexploitable et dénué de sens. Ce pour plusieurs raisons:

  1. Mettre en lumière la présence de neurones dans un organe distinct du cerveau correspond juste à reconnaître que le système nerveux se compose, chez l’homme (comme chez tout mammifère), en un système nerveux central (= le cerveau) et d’un système nerveux… périphérique (composé par des neurones, répartis dans différents organes tels que la peau, les muscles et les viscères…) Rien de très révolutionnaires à une découverte qui date de la fin du XVIII eme siecle… Il doit y avoir un malentendu puisque le message sensé être délivré fait la une des journaux…
  2. Peut-être l’auteur pense-t’il que c’est le grand nombre de neurones évoqué qui fait office de scoop ? Si on cherche quelques autres exemples quantitatifs de neurones cérébraux, on peut noter : l’humain avec 100 milliards de neurones ! le babouin avec 14 milliards de neurones ! mais aussi, le Ara bleue avec 3,136 milliards (JL Goudet in futura-sicences) Si on tend à préciser la répartition des neurones parmi les différents organes du corps et donc la quantité de neurones dans chacun d’eux, la réponse apparaît pour le moins imprécise et complexe… Le tube digestif du Ara bleu contient-il plus ou moins de neurones que le cerveau du matou ? Pas sûr que se lancer dans tels comparatifs ait une quelconque utilité. Quoi qu’il en soit, il est un fait que c’est bien l’intégralité du corps qui est parsemé de neurones. Les villosités intestinales permettent à l’homme de disposer d’une surface de contact, entre le milieu intérieur et la lumière intestinale, équivalent à plusieurs terrains de foot. Il n’est pas étonnant que le chiffre de 200 millions – donc 500 fois moins que le dans le SNC humain (et 30 fois moins que la cervelle du Ara bleu !) – soit avancé par les spécialistes. Certains scientifiques se sont risqués à vouloir évaluer ainsi l’intelligence relative des différentes espèces animales. Ils préfèrent alors considérer un ratio entre le nombre de neurones cérébraux/taille de l’organisme, plutôt que la comparaison brute de volume et/ou de nombres de neurones entre deux espèces… C’est même sur cette base méthodologique douteuse que s’affrontent régulièrement les partisans du meilleur ami de l’homme face à ceux qui défendent la suprématie du chat ! Ramener la taille du chien à celui des chats, passe encore, mais comparer la taille de l’intestin humain à celui du cerveau des félins… paraît un peu plus obscures…
  3. Reste également à connaître les spécificités et les particularités desdits neurones ! à quelles fonctions ils sont dévolus ! Comparer le tissu nerveux de l’hypothalamus à celui du colon ascendant revient à vouloir le faire   entre le record du saut à la perche et le temps passé en apnées par Stéphane Mifsud*. Des centaines de neurones dans l’intestin, certes ! mais de quel type de neurones est-il question ? Outre la fonction sensorielle ou motrice qui distingue ces cellules particulières, on dénombre plus de 200 types de neurones ! Site : « lecerveau.mcgill.ca »
  4. Si on ajoute que les connexions entre neurones comptent probablement autant, sinon plus, que le nombre total de neurones pour rendre compte de la puissance et de la complexité d’un système nerveux (capacité à analyser l’information et/ou produire un signal), on comprend bien que l’argument de nombre ne devrait même pas apparaître dans l’article de vulgarisation du Point… Par l’étude du cerveau, on a pu mettre en évidence les sous-parties qui le composent tels que la substance grise qui forme le cortex cérébral, les noyaux gris centraux et une substance blanche formée d’axones (sorte de cables inter-neuronaux)… Différentes structures s’articulent en de véritables circuits hautement complexes, aux inter-connexions et voies de transmission multiples. Les circonvolutions cérébrales et les sillons composés par les courbures de l’encéphale auraient elles-mêmes des conséquences sur les particularités du fonctionnement cérébral… Si l’intestin est un second cerveau, alors l’appendice est-il une vice-épiphyse ? l’angle colique gauche un simili cortex frontal ? l’anus un cervelet-bis ?
  5. Pour couronner le tout, intéressons-nous à l’organisation des fibres nerveuses qui émergent et/ou arrivent des/vers les neurones digestifs. Vers où sont censées se diriger les fibres efférentes* et/ou d’où proviennent les fibres nerveuses afférentes* sinon du/vers le système nerveux central ? Rappelons que c’est le cas pour la plupart des organes qui constituent notre corps !

 

 

Argument de fonction

L’appareil digestif joue-t’il vraiment des rôles habituellement du ressort du cerveau (l’inverse est en tout cas inexact puisque le cerveau n’est pas chargé de l’expulsion des déchets organiques après les avoir déchargé des éléments nutritionnels qu’ils contiennent…) Le cerveau est un organe censé centraliser les informations qui lui sont transmises via les différents organes du corps humain, les analyser (traitement de l’information) et générer des réponses adaptées (en principe) aux situations auxquelles l’individu se trouve confronté. Ces réponses sont d’ordre motrices, cognitives, végétatives… Qu’est-ce qui explique donc que l’appareil digestif paraisse pour certains en passe de se défaire d’un statut d’organe annexe, satellite du cerveau, chargé de recueillir des informations pertinentes et de les transmettre pour traitement au système nerveux central, pour devenir ni plus ni moins qu’un 2ème cerveau… ignoré depuis l’existence de l’être humain… En effet, si on considère l’histoire de la médecine, c’est bien le cœur qui fut longtemps considéré comme l’organe central de la vie – siège de l’âme – des émotions et des fonctions supérieures de l’être humain… Ce n’est qu’au XIX ème siècle que les découvertes médicales permirent d’abandonner définitivement cette vision « cardio-centrée » au profit d’une conception privilégiant le cerveau comme véritable organe centraliseur des données sensorielles et sensitives; capable de la fonction intégrative fondamentale à l’élaboration de la pensée et de de la notion de conscience de soi… Galien et consort doivent donc probablement se retourner dans leurs tombes en découvrant que nous sommes peut-être à l’aube d’un nouveau déplacement de ces repères au profit des « tripes et  boyaux »…  Revenons aux fonctions centrales que l’on est sur le point d’attribuer à l’appareil digestif: élaboration de la pensée ? action motrice autonome ? recueil de données, mais aussi traitement/analyse de ces dernières ?…. Alors qu’il semblait que ce que l’on observe/entend/ressent/sent, soient acheminé vers le cerveau, il faudrait donc imaginer dorénavant que l’intestin est capable d’être la source même des émotions et/ou pensées qui découlent de l’ensemble de ces perceptions.  C’est en tout cas ce qu’on serait en droit d’attendre de tout co-cerveau, digne de ce nom…  D’aucuns évoqueront que des dysfonctionnements du système digestif peuvent être la cause de bien d’autres pathologies à distance de ce système, parmi lesquelles même les troubles psychiques ! La littérature scientifique reste encore relativement prudente à ce sujet. Admettons toutefois que ce soit bien le cas:  l’infarctus du myocarde n’est-il pas lui même un facteur de risque de dépression reconnu ? une insuffisance hépatique terminale ne peut-elle conduire à une encéphalopathie hépatique qui se traduira par une confusion psychique mimant un état démentiel ?… De quoi l’intestin peut-il finalement se prévaloir de plus que ces petits camarades … hormis peut-être avoir été trop longtemps déconsidéré par rapport à eux, et ainsi revendiquer aujourd’hui une réhabilitation bien méritée !! L’article du POINT tente bien un ultime argument de fonction pour convaincre ses lecteurs: « Il communique en permanence avec le nerf vague » ! Le nerf vague s’appelle également nerf cardio-pneumo-entérique. Comme son nom l’indique, il est donc loin de constituer une ligne privée exclusive entre intestin et cerveau… Le cœur, les poumons, mais aussi le larynx, s’autorisent eux aussi à en partager l’usage. Encore un argument qui s’effondre lorsqu’on s’informe un peu sur le fonctionnement du corps humain. Mais les fausses spécificités ne s’arrêtent pas là. Selon l’article, le ventre fonctionnerait en « autonomie complète » (comme un Alien ??)  et « sans qu’on ait à se poser de question » (sic). C’est indéniable, nous ne sommes pas obligé de penser à faire avancer le bol alimentaire dans notre tube digestif pour nous assurer notre digestion… C’est une chance véritable, certes, mais un phénomène heureusement loin d’être extra-ordinaire. C’est le propre du système nerveux dit autonome, dans son ensemble (nous n’avons pas à penser non plus à faire battre notre cœur, fonctionner nos reins ni hérisser nos poils). Pas d’exclusivité, là non plus.

 

 

Conclusion

 

Il est difficile de comprendre la motivation réelle des promoteurs de « l’Ere Probiotique ». Si l’objectif est d’offrir une approche médicale scientifique de la question, on peut convenir que l’appareil digestif présente des spécificités trop longtemps ignorées qui justifient les nombreuses études actuelles. Ces-dernières visent à en percer les derniers mystères en vue d’applications thérapeutiques éventuelles qui restent à préciser. Mais ce constat vaut probablement pour l’intégralité de nos organes vitaux. En tenter une hiérarchisation est une démarche vaine. Les interconnexions établies entre le système nerveux central et l’ensemble de notre organisme nous engagent à une considération globale du corps humain. La notion de dualité corps/esprit confirme peu à peu son caractère obsolète.

Si c’est une approche poétique de la médecine qui est visée par le courant « pro-intestinal« , et qu’il est question de proposer de nouvelles métaphores organicistes, ne vaut il pas mieux laisser Don Diègue demander à Rodrigues s’il a « du coeur », plutôt que de l’engager à faire désormais appel aux « tripes » de ce-dernier ? 

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Lexique:

Bibliothèque Cochrane: La collaboration Cochrane est une organisation à but non lucratif indépendante qui regroupe plus de 28 000 volontaires dans plus de 100 pays. Cette collaboration s’est formée à la suite d’un besoin d’organiser de manière systématique les informations concernant la recherche médicale. La collaboration a pour but de regrouper des données scientifiquement validées de manière accessible et résumée. Elle conduit des revues systématiques (méta-analyses) d’essais randomisés contrôlés d’interventions en santé. Ces travaux sont publiés dans la bibliothèque Cochrane (en anglais : Cochrane library) Source. Wikipédia

Stéphane Mifsud: apnéiste et chasseur sous-marin français né le 13 août 1971 à Istres (Bouches-du-Rhône). Sa capacité pulmonaire a été mesurée à 11 litres, c’est-à-dire le double de la moyenne. Il est cinq fois champion du monde d’apnée. Source. Wikipédia

Fibres afférentes: qui reçoivent des stimuli.

Fibres efférentes: qui envoient des stimuli.

 

Références :

-CNS Neurol Disord Drug Targets. 2014;13(10):1770-86.
Gut emotions – mechanisms of action of probiotics as novel therapeutic targets for depression and anxiety disorders.
Slyepchenko A, Carvalho AF, Cha DS, Kasper S, McIntyre RS

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