Cannabidiol: on en parle partout mais est-ce utile pour les patients ?

Le Dr Brent BAUER exerce au sein d’une clinique à la renommée internationale. Aux Etats-Unis, ses patients lui parlent régulièrement de cannabidiol et l’interrogent sur cette molécule prometteuse. Souvent, ils ont déjà essayé de multiples substances non réglementées pour traiter leurs maux. Des achats en ligne sur internet leur permettent souvent de passer outre quelconque règlementation. Ainsi, ils échappent aussi à la protection des agences sanitaires. Grand nombre de ces produits prétendent contenir du cannabidiol (CBD). Il s’agit de l’un des 100 composants identifiés dans la plante de cannabis (marijuana). Contrairement au tétra-hydro-cannabinol (THC), le cannabidiol ne provoquerait pas d’effet psychoactif renforçant (pas d’effet « shoot« ). Les patients du Dr Bauer recourent au CBD pour traiter leurs douleurs, améliorer leur sommeil, réduire leur anxiété.

« Aujourd’hui le cannabidiol est partout. Beaucoup spécule sur la manne financière que peut représenter son développement » constate ce Directeur de recherche en médecine interne.

Le marché du CBD a explosé ces derniers mois. Toutes les formes sont disponibles: sels de bains, café, thé…. jusqu’aux croquettes pour chien ! Les filières de distribution en produits naturels et compléments alimentaires en font leur produit phare.

« Savoir que tout le monde peut se procurer autant de cannabidiol qu’il le souhaite me paraît très inquiétant » confie le médecin.

Certains produits prétendraient mentiraient même sur la présence du CBD, selon certaines recherches. Enfin, l’état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas de répondre à des questions pourtant indispensables:

Est-ce inoffensif ? Réellement efficace ? S’en procurer est-il légal ? Parle-t’on d’un complément alimentaire ou d’un médicament ?

 

 

Est-ce sûr ?

Les produits pharmaceutiques

Même avec le cannabidiol de qualité pharmaceutique, l’usager s’expose à des effets indésirables potentiellement dangereux.

Depuis 2018, l’Epidiolex© demeure le seul médicament approuvé ayant le CBD comme principe actif. Les effets indésirables de cet anti-épileptique incluent des réactions hépatiques, des diarrhées, la somnolence et une perte de l’appétit. A la demande de la FDA, la société pharmaceutique qui le commercialise doit mener des études complémentaires afin d’évaluer son effet sur le foie.

 

Les produits non réglementés

Avec les produits non réglementés, les effets indésirables sont imprévisibles. En effet, leur composition véritables peut différer de ce qui est annoncé sur l’emballage.

Un jeune épileptique aurait été victime des effets délétères d’une substance retrouvée dans de l’huile de CBD. CannaSafe, une entreprise californienne d’évaluation du cannabis, a effectué une analyse à l’aveugle sur 20 produits à base de CBD. Seulement 3 d’entre eux présentaient une composition conforme à leurs étiquettes. Outre des taux de CBD inexacts, un niveau élevé de solvants et des gaz toxiques ont été trouvés dans certains produits.

 

 

 

Est-ce efficace ?

L’idéal serait que les médecins puissent se référer à plusieurs études évaluant l’effet du supposé principe actif sur leurs maux. Malheureusement, ce n’est pas le cas actuellement.

Comme nous manquons de données, le marché est à des années lumières de la science !  déplore le spécialiste.

 

Quelques études préliminaires peu concluantes

La plus grande partie des études restent à un stade pré-cliniques.

En dehors des épilepsies réfractaires, les essais contrôlés randomisés sont rares et modestes.

Une méta-analyse portant sur 80 études, évaluant l’usage des dérivés de cannabis sur les troubles mentaux, a conclu à des éléments de preuve d’efficacité insuffisants.

 

La réponse médicale envers les patients

Le Dr Bauer ne pense pas que la solution consisterait en l’expression d’une interdiction formelle à ses patients.

L’essentiel est que le patient se sente suffisamment libre pour en parler avec son médecin. Comprendre les raisons pour lesquelles il se tourne vers des produits non réglementés est essentiel.

Il est nécessaire d’informer les patients sur les manques de données actuellement disponibles.

Il faut particulièrement dissuader les femmes enceintes et les patients prenant déjà des médicaments de courir le risque du cannabidiol.

 

Ce qu’il faut faire

Accélérer les recherches

Des subventions ont été annoncées par les Instituts de santé américains pour approfondir la connaissance sur les propriétés analgésiques potentielles du cannabidiol et des autres composés du cannabis (en plus du THC).

Accompagner les « expérimentateurs »

Si le patient est déterminé, il reste possible de l’orienter vers les produits semblant les plus sûrs. Un suivi de la fonction hépatique est nécessaire et les risques d’interactions médicamenteuses sont à surveiller au maximum.

Soyons réalistes, nos patients vont de toute façon essayer. A nous de nous assurer qu’ils sont à l’aise pour nous en parler.

 

 

 

 

Est-ce légal ?

Répondre à cette question est plus que complexe.

La loi considère les plants de chanvre contenant moins de 0,2 % de THC comme légaux. Ils sont destinés à l’industrie textile. Leur teneur en CBD les rend tout à fait exploitable pour cet usage également.

La législation portant sur l’usage de THC à visée récréative diffère selon les pays. L’usage autorisé du cannabis thérapeutique dépend des politiques de santé publique développées au sein de chaque pays. Les commercialisations de médicament dont le principe actif dérive du cannabis se cantonnent pour le moment à l’Epidiolex© dont il était question plus haut…

Quant au cannabidiol… il n’est pas classé parmi les stupéfiants en raison de son absence d’effet renforçant positif. Cela écarte en effet tout risque de mésusage à visée récréative et d’addiction. Quant à son innocuité, elle reste à définir.

Il existe un véritable flou autour de la législation censée contrôler le commerce de CBD. D’ailleurs, il faudrait décider comment considérer ce produit commercial : comme on le ferait pour les graines de pavots (produit alimentaire) ? pour la morphine (produit pharmaceutique) ? pour l’héroïne (substance illicite) ?

 

 

 

Est-ce un complément alimentaire ou un médicament ?

Vu la quantité de produits commercialisés supposés contenir du cannabidiol, en débarrasser le marché parait un défi impossible.

Selon la composition

Aux USA, les autorités sanitaires ont tendance à se montrer vigilantes dès que des composés contiennent un produit actif entrant dans la composition d’un médicament commercialisé. C’est le cas pour le CBD depuis l’existence de l’Epidiolex©.

Selon les propriétés revendiquées

Elles tendent également à appliquer la réglementation propre aux médicaments lorsqu’un distributeur attribue à son produit un effet thérapeutique sur des maladies graves tels que les cancers. Il en est de même pour les produits destinés à un usage chez les nouveaux-nés.

L’influence des stratégies commerciales

Les distributeurs ont ainsi retirés de leurs packaging les prétendues indications de leurs produits. Ils peuvent ainsi en poursuivre la commercialisation comme simples produits cosmétiques ou compléments alimentaires. Les mêmes articles auraient été assimilés à des médicaments si les effets thérapeutiques, initialement avancés, avaient été maintenus.

Le cannabidiol est un des exemples les plus criant d’un procédé déjà existant:

«À l’insu des cliniciens et du public, les compléments alimentaires sont devenus un moyen détourné de présenter des médicaments aux consommateurs américains sans l’approbation de la FDA», a déclaré un professeur de médecine d’Harvard.

Une situation transitoire

Les distributeurs et les autorités sanitaires se livrent à une course poursuite. Des nouvelles législations se succèdent pour contrer les dernières astuces visant à contourner la loi.

Au delà des efforts consentis pour démasquer les « tours de passe-passe » des publicitaires, les scientifiques s’accordent à prioriser le besoin impérieux d’études expérimentales fiables concernant l’effet du cannabidiol.

 

 

Source JAMA, 20 Novembre 2019

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