Période COVID: à la recherche des « boucs émissaires »

Parmi les revues scientifiques internationales, le British Medical Journal (BMJ) demeure l’une des plus respectées. Au classement des plus citées en 2022, l’impact factor du BMJ était de 105,7. Ce score le situait ainsi au quatrième rang des revues de médecine générale.

Le BMJ défend la « médecine fondée sur des preuves ».

Les rédacteurs y publient, entre autres, des travaux de recherche et des revues cliniques. Ils traitent des avancées médicales récentes et développent des perspectives éditoriales.

Dans un article publié le 29 juin 2023, les chercheurs de différentes universités (Néerlandaise, New Zélandaise, Américaine et Britannique) s’interrogent sur le rôle attribué aux « non vaccinés » durant la pandémie COVID.

Est-ce vraiment la science qui a justifié leur ostracisation ? Ou bien, a-t-on assisté à un phénomène de masse: la « recherche du bouc émissaire » ?

Blaming the unvaccinated during the COVID 19 pandemic: the role of political ideology and risk perceptions in the USA.
Journal of Medical Ethics, June 2023

Maja Graso, Karl Aquino, Fan Xuan Chen, Kevin Bardosh

Nous avons choisi de présenter la traduction de cette étude suivant l’ordre suivant:

  • Un préambule détaillant les fondements sur lesquelles les auteurs ont développé la thèse du phénomène de Bouc émissaire appliqué à la crise sanitaire COVID 19.
  • Les implications de ce phénomène pour l’éthique médicale, la communication scientifique et les divisions idéologiques.

Pour les plus motivés, nous vous proposons, dans un second temps, la traduction de l’intégralité de l’étude avec

  • le détail du protocole expérimental,
  • les résultats des enquêtes menées par les auteurs,
  • la discussion générale,
  • et les limites de l’étude.

Préambule

La fracture sociale engendrée par la pandémie

Le développement de vaccins efficaces visait l’objectif de réduire la mortalité par COVID-19 (C19), en particulier chez les personnes de plus de 50 ans.

Les experts en santé publique ont alors fortement encouragé les individus de tous âges à se faire vacciner : pour se protéger, mais aussi pour protéger leurs concitoyens et leur système de santé.

Les communiqués vantant les avantages de la vaccination ont conduit de nombreuses personnes à la considérer comme le moyen incontournable pour sortir de la pandémie.

Cependant, une telle insistance sur le caractère indispensable de la vaccination contre le C19 a également provoqué une fracture sociale.

Ainsi, ceux les « non vaccinés » ont subi de fortes pressions. On les a accusés de mettre la vie d’autrui en danger, de contribuer à la saturation du système de santé, et d’être en partie responsables de la prolongation des différentes restrictions sanitaires.

Ces personnes ont alors suscité des réactions hostiles.  Elles ont été l’objet d’humiliations publiques. On les a condamnées à perdre leur emploi, et à se voir restreindre l’accès à une vie sociale normale. On a même observé des appels à les priver de soins médicaux. Voire, des célébrations de leurs décès ont fleuri sur le net (par exemple, le site sorryantivaxxer.com).

Le fondement du danger réellement présenté par les non-vaccinés

Les auteurs de la présente étude recherchent si la condamnation générale des « non vaccinés » apparaissait scientifiquement justifiée.

Les arguments « pour »

Ceux qui soutiennent cette thèse affirment que le C19 constituait une menace sérieuse pour la santé. Ils considèrent donc le non-respect des règles sanitaires comme une forme de déviance sociale qui compromettait les efforts de contrôle du virus.

Selon ce point de vue, les réactions hostiles contre les « non vaccinés » n’avaient pas comme principal dessein de les discriminer. Elles visaient la protection de la population.

Elles se fondaient sur le caractère moralement légitime, du recours à des stratégies de « contrôle social » pour le bénéfice collectif. Ainsi, le site Internet qui relayait les décès de personnes non-vaccinées prétendait-il poursuivre un objectif d’avertissement social. Il visait à exhorter les non-vax à ne pas diffuser d’informations erronées, via les réseaux sociaux.

Le camp du « contre »

Selon un autre point de vue, traiter les non vaccinés comme une menace pour la santé publique et les désigner comme coupables des décès, n’était pas justifié. Ni par la gravité objective du C19, ni par l’efficacité réelle des vaccins C19.

Implications éthiques

La chasse aux non-vax a soulevé également des considérations éthiques.

La catégorisation des « non-vaccinés » comme socialement déviants, et l’application de pressions pour les inciter à se conformer, peut traduire une recherche de « bouc émissaire » : phénomène social observable lors de situations menaçantes, ou hautement incertaines.

La stratégie du « bouc émissaire » est généralement définie comme le fait de blâmer un individu (ou un groupe de personnes), bien que pas nécessairement, ni entièrement responsables, de l’événement indésirable qui leur est attribué.

Une fois les coupables identifiés, le blâme devient plus facile à attribuer. Les coupables désignés sont alors considérés comme indignes, voire inhumains.

Objectifs de l’étude

Evaluer si les sentiments négatifs envers les non vaccinés contre le C19 peuvent être considérés comme une forme de phénomène du « bouc émissaire » (contre-hypothèse d’une réponse adaptée, visant la protection de la société contre des déviants sociaux).

En revanche, nous ne chercherons pas à discuter du seuil de danger au-delà duquel une menace sociale deviendrait suffisamment grave pour justifier la punition, ou l’ostracisation de ceux qui ne se conforment pas à des mesures majoritairement approuvées .

Les perceptions de ce qui est dangereux peuvent varier et être influencées. Si elles sont erronées, elles peuvent engendrer des actions inutiles ou contre-productives. Nous attirons l’attention sur la manière dont les jugements négatifs peuvent être biaisés.

Plus précisément, étant donné que le C19 a représenté une situation très incertaine, et qu’il est prouvé que les gens ont surestimé les risques liés au C19, la colère dirigée contre les non vaccinés pourrait avoir conduit à blâmer de manière injustifiée des personnes qui ne constituaient pas réellement une menace pour la santé publique, telle que certains l’estimaient.

IMPLICATIONS POUR L’ETHIQUE MEDICALE, POUR LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE ET LES DIVISIONS IDEOLOGIQUES

Les humains réagissent souvent aux menaces perçues par application de surgénéralisations nourries par :

  • une mauvais estimation des risques,
  • un recueil sélectif d’informations,
  • une réticence à mettre à jour leurs croyances à la lumière de nouvelles informations.

Nos données confirment que ces mécanismes ont conduit certaines personnes à utiliser un seul et unique facteur – le statut vaccinal – comme argument heuristique de culpabilisation d’un type d’individus. Ainsi, a-t-on a taxés les « non vaccinés » de constituer une menace grave pour autrui

  • qu’ils présentent ou non un risque statistique d’avoir besoin de soins,
  • qu’ils aient été préalablement infectés, puis remis du virus,
  • qu’ils aient été vaccinés mais sans avoir reçu de rappel depuis plusieurs mois.

Ces généralisations excessives et la désignation de boucs émissaires qui en résulte ne furent pas sans conséquences sociales et éthiques.

Le phénomène du bouc émissaire peut condamner les gens à une ostracisation, à la discrimination et, dans des cas extrêmes, même à la violence et à la persécution.

Même si nous n’avons pas cherché à documenter ces conséquences dans nos études, elles ont pu renforcer les attitudes de masse, fondées sur une justification de discrimination.

Par exemple, plusieurs politiques ont été mises en œuvre aux États-Unis pour faire pression sur les individus afin qu’ils se fassent vacciner. On a donné mandat aux employeurs, et instauré des passeports vaccinaux. Largement soutenues, ces politiques ne tenaient pas compte des effets protecteurs d’une infection antérieure, ni de la répartition des risques d’évolution grave de la maladie en fonction de l’âge.

Des exemples montrent qu’ils ont généré des conséquences sociétales néfastes, telles qu’une réactance, un scepticisme accru à l’égard des vaccins et une polarisation sociale, entre autres. La pandémie du C19 a montré à quel point la compréhension par le public des données sanitaires pouvait avoir un impact sur la cohésion sociale. Par conséquent, nous recommandons fortement à la communauté médicale de considérer les impacts négatifs éventuels avant d’établir les lignes directrices des communications, présumées bien intentionnées.

Deuxièmement, la désignation d’un bouc émissaire implique un blâme immérité ou disproportionné.

Ainsi, nous encourageons les chercheurs, les praticiens et les enseignants scientifiques en santé publique à mesurer l’impact des décisions qui s’appuient principalement sur des approches basées sur la peur pour atténuer les dommages causés par le C19.

Par exemple, le fait que 35 % des adultes américains pensaient qu’au moins la moitié des infections au C19 nécessitent une hospitalisation, suggère un échec important de la communication en matière de santé. Cela peut ensuite amener les gens à se retourner et à se blâmer les uns les autres alors que cela n’est pas justifié par les données disponibles, qui n’ont peut-être pas été présentées de manière adéquate au public.

Nous estimons qu’une question éthique pertinente est de savoir s’il fut moralement aussi indispensable pour eux de corriger la désinformation, qu’elle eut surestimé ou sous-estimé le risque lié au C19. Les responsables de santé publique devraient débattre sur ce point.

Troisièmement, nos résultats ont montré également l’influence de l’opinion politique des citoyens sur la désignation de boucs émissaires.

Nous n’avons pas testé les raisons pour lesquelles les libéraux sont plus susceptibles de faire des boucs émissaires des individus non vaccinés. Nous encourageons une enquête plus approfondie pour déterminer si l’exposition médiatique pourrait être un facteur contributif.

Tout comme les médias et les politiciens conservateurs sont coupables de désinformation conduisant les gens à sous-estimer certains risques du C19, il est possible que les médias libéraux aient introduit une désinformation dans la direction opposée.

Par exemple, Rachel Maddow de MSNBC, un média à l’audience résolument libérale, a déclaré en mars 2021 :

« Nous savons désormais que les vaccins fonctionnent suffisamment bien pour que le virus épargne chaque personne vaccinée. »

Pourtant, on ne pouvait affirmer cela à cette époque. De plus, cela va vite s’avérer être faux.

Les essais cliniques initiaux n’ont pas testé leur efficacité sur la transmission. Les premières preuves et les déductions raisonnables de la recherche en vaccinologie et en virologie ont suggéré que les vaccins n’arrêteraient pas complètement la transmission. En avril 2021, plus de 10 000 infections vaccinales avaient été officiellement signalées aux États-Unis (un sous-dénombrement considérable), dont 10 % avaient été hospitalisées et 2 % d’entre elles étaient décédées. Une enquête sur l’épidémie menée par les Centers for Disease Control et La prévention menée en juillet 2021 a révélé que 74 % des cas liés à un événement estival dans le Massachusetts étaient vaccinés et que la plupart étaient symptomatiques. Par conséquent, nous soutenons qu’il est important de corriger les affirmations douteuses formulées par les deux côtés du spectre politique, car les deux peuvent fausser le risque et alimenter la polarisation.

METHODES et EXPERIMENTATIONS

Tester l’hypothèse selon laquelle les « non vaccinés » méritaient le blâme

Considérons les deux avantages les plus largement vantés de la vaccination : se protéger soi-même et protéger les autres.

  • Se protéger

Le C19 a un impact majeur sur les personnes âgées et les personnes souffrant de comorbidités graves telles que l’obésité, les maladies cardiaques et le cancer. La répartition du virus par classe d’âge et le rôle des comorbidités étaient bien connus grâce aux premières données émanant de Wuhan, en Chine.

Selon ces données, une personne non vaccinée qui n’est pas à risque de C19 en raison de son âge et de sa condition physique générale (par exemple, une personne de moins de 50 ans sans comorbidité majeure) a généralement une faible probabilité de présenter une forme grave et d’alourdir le système hospitalier si infecté (inférieure à 1%).

  • Protéger les autres

Bien sûr, la protection individuelle n’est pas le seul objectif des vaccins. Même si la personne vaccinée n’est pas à risque élevé de tomber gravement malade, on peut réduire ses risques de transmettre le virus à quelqu’un qui l’est. Cet argument a couramment constitué une justification morale pour rendre obligatoire la vaccination généralisée.

Les incertitudes de la vaccination

  • Transmission

Pourtant, dès la mi-2021, on savait que les personnes vaccinées contre le C19 pouvaient toujours contracter l’infection et la transmettre. Au plus fort de leur infection, les individus vaccinés et non vaccinés ont des charges virales similaires.

  • Efficacité

L’efficacité de la primo-vaccination ainsi que des rappels baisse rapidement avec le temps. Les variants préoccupants ultérieurs à 2021, notamment Delta et Omicron, ont également réduit certains aspects des avantages du vaccin.

  • Risques

De plus, il y a eu une incertitude sur la balance avantages/risques de la vaccination C19 pour les groupes à faible risque, en particulier pour les enfants et les jeunes de moins de 30 ans.

  • Immunité naturelle

Enfin, la valeur ajoutée de la vaccination pour ceux qui ont déjà eu une infection C19 a également fait l’objet de débats et de doutes. Contrairement aux États-Unis, les pays de l’Union européenne ont reconnu les avantages protecteurs de l’immunité naturelle en 2021 et n’ont pas exigé que les personnes ayant déjà été infectées se fassent vacciner, au moins pendant un certain temps post-infection (par exemple, 90 ou 180 jours)

Acquisition de connaissances

  • L’immunité naturelle

Des études ont depuis confirmé ce que l’on supposait au début de la pandémie : une infection antérieure confère une immunité naturelle importante contre la réinfection et contre les formes graves.

  • Les vaccins n’empêchent pas la contagiosité

En dépit des arguments prouvant que les non-vaccinés ne pouvaient dû être tenus pour responsables de la prolongation de la pandémie, L’opinion publique en 2021 et 2022 leur est restée résolument hostile. Elle est ainsi restée favorable à l’obligation vaccinale généralisée.

  • Une infection le plus souvent bénigne

L’évaluation des risques réels présentés par le C19 amène également à douter de la justification d’avoir jeté l’opprobre sur les personnes non vaccinés pour la prolongation de la pandémie. Les données montrent en effet que l’estimation des risques liés au C19 par les gens était disproportionnellement supérieure à ce que les preuves disponibles indiquaient.

  • Des perceptions irrationelles

Comme nous le rapportons ci-dessous, ces perceptions n’étaient pas uniformément réparties entre les populations.

De nombreux sondages et études indépendants de 2020 et 2021 montrent que l’estimation du risque de C19 variait considérablement entre les gens. Ces différences apparaissent en partie corrélées à l’idéologie politique.

Lien entre estimation du risque viral et opinion politique

L’opinion politique semble avoir influencé l’adhésion à la stratégie des « non-vaccinés boucs émissaires » via différents mécanismes.

  • Premièrement, les libéraux ont montré plus d’inquiétude vis-à-vis COVID19 que les conservateurs. Les libéraux ont plus facilement adhéré aux restrictions du C19, et à l’obligation vaccinale. Ils ont rejeté plus promptement les théories du complot qui relativisaient la menace présentée par le C19.

Les libéraux ont également considéré plus fréquemment ceux qui ne se conformaient pas aux réglementations en vigueur comme nuisibles et indignes.

  • Secundo, des sondages représentatifs effectués avant la collecte des données épidémiologiques suggéraient que les libéraux étaient plus susceptibles de surestimer les risques du C19.

Surestimation du risque d’hospitalisation par les démocrates.

L’étude Franklin Templeton-Gallup, publiée dans Economics of Recovery, menée au cours du second semestre 2020, a demandé aux résidents américains d’estimer le pourcentage d’infections à C19 qui entraînent une hospitalisation. La réponse correcte à l’époque se situait entre 1 % et 5 %.

Le sondage a montré qu’environ 41 % des démocrates (contre 28 % des républicains) estimaient ce taux à 50 % ou plus.

Il y avait plus de républicains (26 %) que de démocrates (10 %) qui estimaient correctement le taux d’hospitalisation entre 1 % et 5 %.

Surestimation du risque d’hospitalisation des non-vaccinés et sous-estimation du risque pour les vaccinés.

Un sondage Gallup réalisé en août (2021) a montré que 41 % des démocrates (contre 22 % des républicains) estimaient que les personnes non vaccinées avaient plus de 50 % de chances d’être hospitalisées. Lors de l’estimation du risque pour les personnes vaccinées, la tendance s’est inversée, de sorte que 42 % des démocrates (contre 33 % des républicains) ont déclaré que le risque était inférieur à 1 %.

Partisans d’une politique répressive vis-à-vis des contestataires.

Enfin, une enquête nationale Rasmussen menée en janvier 2022 a montré que près de la moitié des démocrates (48 %) pensaient que les gouvernements devraient pouvoir infliger des amendes ou emprisonner les personnes qui remettaient publiquement en question l’efficacité des vaccins C19 existants, sur les réseaux sociaux, via les actualités, ou par d’autres types de publications (contre 14 % des républicains et 18 % des électeurs non affiliés).

Implications

Les croyances non éprouvées, ou non actualisées par les nouvelles données disponibles, peuvent induire une vision péjorative d’une situation et des comportements inappropriés.

Ainsi, il existe un risque de conséquences sociales indésirables à la préoccupation élevée des libéraux concernant le C19 (par rapport aux conservateurs).

La plus grande propension des libéraux à surestimer les risques liés au C19 et la dimension morale qu’ils ont attribué à l’atténuation du C19 a pu accroître leur animosité envers les non-vaccinés, alors désignés comme bouc émissaire.

RECUEIL DE PREUVES EMPIRIQUES PRELIMINAIRES POUR L’EMERGENCE D’UN PHENOMENE DU BOUC EMISSAIRE

Nous avons cherché à mieux comprendre les facteurs prédictifs des jugements négatifs vis-à-vis des individus non vaccinés.

Sur la base du fondement théorique et des informations disponibles au moment de la collecte des données début 2022, nous avons testé les hypothèses suivantes :

  • Premièrement, nous nous attendions à ce que les gens soient plus susceptibles de faire du bouc émissaire un non vacciné (qu’un individu vacciné ou infecté guéri). Nous nous attendions à ce que cet effet émerge quelles que soient la catégorie de risque à laquelle appartenait l’individu (c’est-à-dire son âge, ses comorbidités, le moment et les antécédents de vaccination ou d’infection antérieure).
  • Deuxièmement, nous avons examiné si les libéraux seraient plus susceptibles de faire du bouc émissaire l’individu non vacciné (par rapport au vacciné) que les conservateurs.

Début 2022, nous avons mené deux études basées sur des cas cliniques. Nous avons demandé à des participants américains d’évaluer les caractéristiques de personnes aux différents profils de risque.

Nous résumons le protocole d’étude et fournissons les principaux résultats ci-dessous.

Nous soumettons à nos lecteurs le fichier supplémentaire des données statistiques détaillées, des analyses et des documents complets. Nous ne déclarons aucun intérêt concurrent. Nous mettons nos données à disposition ici :

https://osf.io/vjur3/?view_only=88a91782e6124c9b81f66db3c8bd8745

Étude 1 :

Les gens sont-ils susceptibles de faire des non vaccinés (vs les vaccinés) des boucs émissaires, quels que soient les facteurs de risque qu’ils présentent ?

Méthode et protocole

Notre première étude a demandé aux participants d’évaluer quatre personnages fictifs présentant des profils de risque et des statuts vaccinaux variés.

  • Deux personnages à faible risque: Katy 21 et Mark 38 qui n’avaient aucune comorbidité. Selon les données disponibles à l’époque, leurs risques d’hospitalisation et de décès étaient inférieurs à <1 %.
  • Deux personnages à haut risque: Mary (78 ans, aucune comorbidité) et Richard (53 ans, comorbidités graves). Selon les mêmes sources, leurs risques d’hospitalisation étaient inférieurs à 20% et leurs risques de décès inférieurs à 10%.

Les participants prennent connaissance des quatre descriptions des personnages.

Chaque personnage était soit :

  • (a) entièrement vacciné (c’est-à-dire trois doses) ;
  • (b) non vacciné ;
  • (c) non vaccinés mais guéris d’une infection antérieure au C19 qu’ils ont contractée avant que les vaccins ne soient disponibles pour eux.

Nous avons mesuré le capital « bouc émissaire » à l’aide d’une évaluation préalablement recueillie.

Plus précisément, nous avons demandé aux participants d’indiquer sur une échelle (de 1 = pas du tout à 6 = tout à fait) dans quelle mesure le personnage est :

  • (1) responsable des effets du manque de personnel hospitalier,
  • (2) responsable des décès et hospitalisations pour COVID
  • (3) coupable d’avoir gravement mis en danger la santé publique de sa communauté.

Nous avons également demandé aux participants d’estimer la probabilité que le personnage :

  • (1) soit hospitalisé pour une maladie grave,
  • (2) meurt
  • (3) ne se rétablisse pas.

Les résultats reposent sur 570 résidents américains recrutés via Mechanical Turk (MTurk ; Mage=40,22, SD=12,65, 43 % d’hommes).

Résultats :

Nous avons observé que les gens étaient susceptibles de faire du bouc émissaire le personnage non vacciné ou non vacciné-récupéré (vs vacciné), quel que soit leur profil de risque.

Les participants ont également systématiquement surestimé les risques qu’un personnage à faible risque soit hospitalisé, meure ou ne se remette jamais du C19 (un proxy du syndrome post-viral, long COVID) quel que soit son statut vaccinal, confortant ainsi notre spéculation selon laquelle le blâme des non vaccinés est disproportionné.

Il était peu probable que les conservateurs fassent de ces personnages des boucs émissaires. Alors que les libéraux étaient plus susceptibles de considérer comme boucs émissaires ceux qui ne sont pas vaccinés, y les non vaccinés guéris (figure 1).

Étude 2 :

Les gens sont-ils plus susceptibles de faire des boucs émissaires les personnes non vaccinées à faible risque – même si on les compare à une personne à faible risque , vaccinée mais qui n’est pas à jour ?

Protocole

Dans notre deuxième étude (février 2022), nous avons demandé à 193 participants de MTurk (Mage=39,19, SD=12,44, 47,4 % d’hommes) d’évaluer un personnage masculin de 28 ans, à faible risque, qui est : en forme, en bonne santé et aime passer autant de temps dehors que possible. Il passe la plupart de son temps de travail dehors, seul.

Les participants ont été assignés au hasard à une condition dans laquelle le personnage a soit :

  • a contracté le COVID-19 en mai 2021 (à peu près au moment où il était éligible pour recevoir son vaccin). Il n’a pas consulté un médecin et il s’est complètement rétabli
  • a reçu deux doses du vaccin COVID-19 en mai 2021 alors qu’il était éligible pour le recevoir (il ne prévoit pas de recevoir un rappel)

N’étant pas vaccinés depuis plus de 6 mois, les deux personnages peuvent présenter un risque de transmission à mesure que les bénéfices d’une infection antérieure et d’une vaccination diminuent tous deux. Nous nous sommes appuyés sur les mêmes mesures que celles utilisées dans l’étude 1, sauf que nous avons utilisé une version plus longue de huit éléments de l’étude bouc émissaire (α= 0,98).

Résultats

Nous avons observé que les gens étaient plus susceptibles de blâmer le personnage à faible risque non vacciné mais rétabli d’une infection et que cet effet était associé aux mêmes idéologies politique que pour notre étude précédente (c’est-à-dire que les individus libéraux étaient plus susceptibles de faire des boucs émissaires les personnes non vaccinées-guéris vs vaccinés) que les conservateurs).

DISCUSSION GENERALE

Nous avons donc recherché si l’animosité manifestée vis-à-vis des personnes non vaccinées pendant la pandémie de C19 pouvait être interprétée comme une recherche de bouc émissaire (à contrario d’une réponse raisonnable vis-à-vis d’une personne coupable).

Nous avons étayé nos hypothèses de départ par deux études empiriques et un pré-test, menés début 2022.

  • Nous nous sommes appuyés sur des vignettes descriptives de personnages aux profils différents, où toutes les informations, à l’exception du statut vaccinal, étaient maintenues constantes.

Nos résultats ont montré que les gens jugeaient les individus non vaccinés (par rapport aux individus vaccinés) comme plus condamnables et plus responsables de la surcharge du système de santé, mettant en péril les efforts de santé publique et prolongeant la pandémie.

Il est important de noter que ces jugements ont également émergé pour des personnes qui, selon les preuves scientifiques disponibles dès l’époque, présentaient un risque extrêmement faible d’hospitalisation ou qui s’étaient remis d’une infection antérieure à la disponibilité des vaccins (étude 1). Ces mêmes jugements existaient aussi pour un individu à faible risque non vacciné car guéri d’une infection; comparé à un homologue vacciné plus de 6 mois auparavant (étude 2).

En moyenne, les notes des participants pour les personnages vaccinés se situaient dans la fourchette inférieure, tandis que les notes des personnages non vaccinés se situaient dans la fourchette moyenne de l’échelle des boucs émissaires (c’est-à-dire suggérant des niveaux de blâme modérés).

Enfin, nous avons observé que les libéraux étaient plus susceptibles que les conservateurs de blâmer les personnages non vaccinés (vs vaccinés).

Rappelons que ce qui fait de l’attribution d’un blâme une forme de bouc émissaire (par opposition à une réponse justifiée à une menace sociale) est qu’elle est motivée par la peur, ou basée sur des faits infondés ou inexacts.

Nous apportons la preuve que la désignation de boucs émissaires des personnes non vaccinées était non fondée sur des faits empiriques disponibles, mais sur une mauvais évaluation du risque.

Notre preuve est que même si les participants reconnaissaient que les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités graves présentaient un risque plus élevé d’hospitalisation ou de décès (par rapport aux personnes à faible risque), ils ont systématiquement surestimé les risques de C19, en particulier pour les personnes non vaccinées n’appartenant pas aux groupes à risque de formes graves.

Ces estimations de risque inexactes concordent avec les résultats d’autres études représentatives basées sur des échantillons disponibles à l’époque. Le dernier facteur contribuant aux perceptions erronées, et une autre indication de bouc émissaire, était l’incapacité de prendre en compte les effets protecteurs d’une infection antérieure, qui étaient connus selon aux preuves disponibles au moment de notre collecte de données.

LIMITES ET ORIENTATIONS FUTURES

L’étude présente des limites qui doivent être reconnues.

  • Premièrement, il existe une certaine variabilité d’un pays à l’autre dans l’antipathie nourrie à l’égard des personnes non vaccinées. Aussi, il n’est pas sûr que nos résultats seraient identiques dans un échantillon non américain, ou dans des échantillons différents du présent (qui a tendance à compter plus de participants libéraux que conservateurs).
  • Deuxièmement, nous avertissons les chercheurs d’interpréter nos résultats et nos hypothèses en fonction de la période pendant laquelle nous avons mené cette étude (janvier et février 2022).
  • Troisièmement, nous avons uniquement évalué les jugements des boucs émissaires et nous n’avons pas documenté le comportement envers les non vaccinés.
  • Quatrièmement, nos résultats sont spécifiques au contexte des vaccinations contre le C19 et ne visent pas à tirer des conclusions sur les vaccinations en général (par exemple, la grippe ou les vaccinations systématiques des enfants ; voir Giubilini et al.).
  • Cinquièmement, même si bon nombre de nos estimations de risque observées correspondent aux données d’échantillons représentatifs collectés en même temps, les estimations de risque des individus peuvent être notoirement inexactes et souvent instables. Les recherches futures devraient continuer à étudier la relation entre l’estimation du risque C19 et les résultats sociaux en utilisant une plus grande variété d’indicateurs de risque.

Enfin, aucune étude scientifique ne pourra jamais déterminer le point – le cas échéant – à partir duquel la punition des déviants sociaux ou le bouc émissaire des personnes non vaccinées est moralement ou socialement justifiable.

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