
Selon d’illustres chercheurs, un risque de cancer qui n’augmente pas proportionnellement à la taille d’une espèce donnée de mammifères (et/ou de son espérance de vie) constitue un paradoxe intrigant. Cette inattendue absence de corrélation pourrait signifier que l’Evolution s’est chargée de développer et de sélectionner, chez certains animaux, des stratégies biologiques d’adaptation à visée préventive. La nécessité d’assurer la survie de l’espèce en aurait usé pour contre-carrer l’effet attendu des 2 variables pré-citées (taille + âge) sur le taux de cancer.
Les cancérologues pourraient-ils y trouver l’inspiration pour de nouveaux traitements chez l’homme ? Plus spécifiquement, l’étude cancérologique de l’éléphant pourrait-elle apporter des connaissances médicales, susceptibles d’ouvrir de nouvelles pistes dans la lutte contre le cancer ?
Des chercheurs expliquent les fondements de cet «accessible espoir», malgré d’incontournables réserves d’usage, dans un article publié au sein du célèbre et très reconnu JAMA (Journal of American Medical Association).
Choisirunmedecin.com vous propose d’en prendre connaissance dans les grandes lignes…
Avant-propos :
Qu’est-ce qu’un cancer ?
Du latin cancer («crabe, chancre, cancer»), apparenté au grec καρκινος, karkinos («écrevisse»). Ce nom aurait été donné par Hippocrate, parce que le cancer «a des veines étendues de tous côtés, de même que le crabe a des pieds». Paul d’Égine* ajoute que «son nom lui vient, selon quelques-uns, de ce que quand il s’est emparé d’un organe, il ne le lâche plus, de même que fait le crabe quand il s’est attaché à quelque chose».
Un cancer (ou tumeur maligne) est une maladie caractérisée par une prolifération cellulaire (tumeur) anormalement importante au sein d’un tissu normal de l’organisme, de telle manière que la survie de ce dernier est menacée. Ces cellules dérivent toutes d’un même clone, cellule initiatrice du cancer qui a acquis certaines caractéristiques lui permettant de se diviser indéfiniment. Au cours de l’évolution de la maladie, certaines cellules peuvent migrer de leur lieu de production et former des métastases. Pour ces deux raisons, le dépistage du cancer doit être le plus précoce possible.
Physiopathologie du cancer
Tout organisme vivant se caractérise par un renouvellement continuel des cellules qui le composent (cellules sanguines, épithéliales, endocrines….) selon le principe d’homéostasie*. Le mécanisme néoplasique se défini par une multiplication incontrôlée de certaines cellules de l’organisme.
Le développement d’une tumeur est dû à une accumulation d’erreurs, ou mutations, dans des gènes clés des cellules. A l’origine, une mutation apparaît souvent dans un des gènes qui contrôlent la multiplication cellulaire. Une seule mutation dans une cellule ne suffit pas à engendrer un processus de cancérisation. Mais des mutations successives, dans des gènes qui contrôlent la division d’une cellule, sa spécialisation ou encore sa mort, peuvent aboutir à une prolifération totalement anarchique de cette cellule, donc à un cancer.
La cause des mutations génétiques est généralement inconnue. Néanmoins, certains facteurs environnementaux favorisent leur apparition : l’alimentation, le tabagisme, les radiations, les agents chimiques… Le risque de cancer augmente aussi avec l’âge. Enfin, dans certaines familles, il existe une prédisposition génétique au cancer : un gène muté, prédisposant au développement d’un cancer, est transmis de parents à enfants. 5 à 10 % des cas de cancers sont concernés.
Cette prolifération anarchique découle d’une accumulation de mutations au sein de gènes clés qui régulent le devenir cellulaire.
L’apparition constante de cellules mutantes durant la vie d’un organisme (et son renouvellement cellulaire) pourrait engendrer une multitude de fois le développement de nouveaux cancers, si n’intervenaient pas en permanence des systèmes de correction, de réparation de ces anomalies cellulaires.
Ces mécanismes de contrôle luttent tout au long de notre vie contre les mutations génomiques des cellules cancéreuses et évitent que chaque cancer potentiel ne s’exprime véritablement en maladie.
Et les éléphants dans tout ça ?
Des chercheurs viennent de publier un article dans le JAMA, ce mois-ci, qui traite du paradoxe de Peto. Ils y démontrent que les paradoxes peuvent être intellectuellement stimulant et éclairant. En effet, il y a 40 ans, Peto et ses collaborateurs observaient que le risque de cancer ne semblait pas s’accroître proportionnellement à la taille d’une espèce considérée, dans le règne animal. Il était, jusqu’alors, pourtant communément attendu par les scientifiques que plus la division cellulaire était intense (remplacement des cellules mortes au sein d’une espèce de grande taille), et plus la durée de vie d’une espèce animale était grande, alors, plus le risque de mutations lors des divisions cellulaires étaient grand au cours la vie d’un organisme… le risque de malignité devant donc aller de pair…
L’infirmation de cette hypothèse est extraordinaire quand on sait que la durée de vie et la taille d’un organisme, par leur impact sur la division cellulaire constante, impliquent des milliards de risques intrinsèques supplémentaires. Le risque relatif de mutations à l’origine de la croissance autonomisée et désordonnée des cellules cancéreuses aurait du augmenter au cours de l’évolution (par l’augmentation progressive de la complexité, la taille et la longévité des animaux). L’hypothèse serait donc que la pression sélective aurait permis de développer de nouveaux mécanismes « suppresseurs de cancer » – adaptations ayant permis l’actuelle contrôle de ce risque chez les ancêtres des mammifères géants.
Les auteurs de l’étude du JAMA (Abegglen et ses collaborateurs) ont donc concentré leurs recherches sur les éléphants du zoo de San Diego, en Californie. Leur attention s’est vite portée sur un gène particulier (TP53), présent en multiples copies dans l’ADN de ces grands mammifères. La possibilité que les éléphants devraient leur relative longévité sans cancer à l’acquisition, au cours de l’évolution de leurs ancêtres, de copies supplémentaires du gène TP53 est plausible.
Les chercheurs restent cependant prudents : qu’ils s’agissent de s’interroger sur les éventuelles conséquences négatives induites par ces copies supplémentaires en TP53, ou de mettre en cause la vision déterministe attribuée à la pression sélective dans cette hypothèse présomptueuse, beaucoup de réserves restent de mise pour extrapoler le rôle véritablement salvateur de ces remaniements génétiques. Par ailleurs, la lenteur de ces mammifères au métabolisme faible (ce qui va de pair avec un faible renouvellement cellulaire) est également évoquée comme un facteur de confusion. Cette seule particularité est susceptible de pouvoir expliquer le risque relatif faible de cancer de l’éléphant comparé à l’homme.
Le modèle animal reste pourtant loin d’avoir révélé toutes les connaissances scientifiques exploitables pour les scientifiques. D’autres espèces de grandes tailles et/ou de longue longévité ont peut-être, elles-aussi, développées d’autres fonctions anticancéreuses, spécifiques et originales.
On ne sait finalement quelles véritables leçons tirer de l’étude d’Abbeglen, sur les éléphants d’Afrique. Peut-être le message principal est-il de nous interroger sur les raisons pour lesquelles les humains semblent, eux, s’être si mal adaptés au risque de cancer au long de leur évolution. La plupart des cancers humains sont associés à des modes de vie qui ne figurent pas chez les animaux dont certains sont relativement récemment acquis par l’homme. Le tabagisme, le l’exposition excessive aux U.V, le régime alimentaire (pour ne citer qu’eux) ont peut-être suffit à déborder les mécanismes de réparation cellulaire « anti-cancer », acquis au cours des millénaires. L’inadéquation entre ces modes de vie et un patrimoine génétique, hérité d’un environnement ancestral bien différent à l’actuel, aggrave peut-être même la vulnérabilité au cancer.
Les auteurs concluent donc d’une façon un peu cynique ; faisant remarquer que si l’homme est une espèce si remarquable, il lui faudra trouver ses propres moyens de réduire l’incidence des cancers auxquels ils s’exposent par ses comportements (et la surmortalité qui en découle), mais ne pas se contenter des aléas de la pression sélective de l’Evolution pour l’y aider…
Lexique:
-Paul D’Egine: médecin grec du VIIe siècle.
-Homéostasie: capacité globale d’un système à maintenir tout un ensemble de facteurs clés, notamment chez un organisme vivant.
Sources et références:
-Evolutionary adaptations to risk of cancer (Evidence form Cancer Resistance in Elephants) M.Greaves, L.Ermini Journal of American Medical Association November 3, 2015 Vol.314 – number 17
–Fondation pour la recherche médical http://www.frm.org/cancer/mieux-comprendre-le-cancer.html
-Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Cancer