Ouf ! Mon médecin doute !

Quand le questionnement est signe de compétence

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Apologie de la médecine basée sur les preuves

 

La Médecine ? Une science pour certains. Un Art pour d’autres… Le Médecin ? Un savant pour certains. Un simple prestataire pour d’autres…Toujours est-il que nous lui confions aveuglément ce que nous avons de plus précieux: notre vie. La plus noble des disciplines traite d’un sujet dont la complexité ne cesse de se confirmer: la Santé. Elle s’intéresse au corps humain, à sa physiologie, aux mécanismes passibles d’induire dysfonctionnements et dérèglements… et surtout, aux solutions susceptibles de corriger les désordres tant redoutés. L’objectif est d’améliorer le présent et le futur de chacun de nous.

Alors, le «Docteur» : un homme de science ou un artiste ? Attend-on de notre médecin qu’il ait du talent ou qu’il fasse preuve de pragmatisme ?

L’évaluation clinique* est le temps primordial de toute consultation médicale. Elle est censée conduire au Saint Graal que représente le diagnostic*. Au cours de l’entretien et de l’examen (observation/palpation/auscultation/percussion/mesures), le praticien recueille le maximum de données (indices). Elles vont lui permettre de mener une enquête minutieuse qui visera à déterminer la cause des plaintes fonctionnelles exprimées par le patient, et/ou des signes observés par cet expert. C’est à partir de la synthèse des informations délivrées par le patient, enrichie par les différents symptômes* repérés (et regroupés en syndrome*), que le professionnel va tenter de mobiliser ses références, acquises au cours de ses études, pour faire coïncider le « tableau clinique » observé, à un « cadre nosographique* » théorique: la maladie qu’il faudra traiter. Parfois, d’autres outils de recueil d’indices seront nécessaires (évaluation du contexte, prises de sang, examens radiologiques et autres explorations complémentaire). Le dessein de l’intervention médicale restera d’améliorer l’évolution supposée de la santé du patient (pronostic*), en dépit de la maladie découverte .

Au risque de détruire un mythe bien rassurant: quelle que soit l’habilité du médecin, la conclusion de l’enquête menée ne pourra se soustraire au statut d’hypothèse diagnostique – sa probabilité fut-t’ elle voisine des 100 %. Si la démarche médicale relève plus d’une approche probabiliste que de l’inspiration artistique, elle doit donc reposer sur un raisonnement analytique hypothético-déductif*. Le professionnel de santé doit donc chercher à être le moins possible parasité par ses pré-sentiments, intuitions, et autres préjugés. Ils seraient susceptibles de biaiser sa démarche exploratoire: d’induire inconsciemment les réponses qui confirmeraient l’hypothèse privilégiée dès le départ, d’omettre l’investigation des pistes qui ne vont pas dans le sens de l’opinion initiale, voire, de « sauter à la conclusion ».

 

L’Art médicale n’est peut-être finalement qu’un véritable combat du praticien contre les biais cognitifs* qui pourraient entacher son analyse critique : « Ce que je sélectionne comme informations parmi celles qui me parviennent, et comment je pondère la valeur attribuée à chacune d’elles au travers d’un inévitable ensemble de biais». A l’instar de tout appareil d’enregistrement audio-phonique, la qualité de la restitution sera liée aux caractéristiques même du «système de réception» (défauts de recueil des signaux étudiés selon le seuil de détection, la bande passante, les filtres et autres parasites …)

 

Voici quelques illustrations de ce qui peut orienter le gardien de notre santé :

  • « Ce qu’il connaît le mieux » biais du spécialiste ;
  • « Ce que il souhaite ou redoute de découvrir » biais d’empathie ;
  • « Ce qu’il ignore » biais inhérent au statut d’être humain (la perfection n’existe pas, même parmi le corps médical ! L’illusion d’omniscience peut donc y être d’autant plus dangereuse) ;
  • « Ce que la science n’a pas encore établie » (Hippocrate était-il un mauvais médecin ?), « Ce que l’évolution de l’état de santé du patient va lui apprendre dans les jours et/ou semaines à venir » (le confrère suivant trouvera le bon diagnostic, parce qu’il sera meilleur que le précédent ou parce qu’il disposera de plus d’informations ?) biais d’impermanence des signes étudiés et du Savoir ;

Faute de pouvoir s’y soustraire, le praticien doit être conscient de tous ces pièges. Il ne peut que les accepter avec humilité. Il doit chercher à tout prix à aiguiser et développer une faculté primordiale – peut-être la plus essentielle au clinicien : LA METACOGNITION*. C’est elle qui permet d’évaluer, avec nuance et pertinence, le niveau de certitude qu’on attribue à une opinion, réponse, croyance… Des spécialistes l’étudient aisément au travers de tests simples. Il suffit par exemple, lors d’un questionnaire lambda, de demander aux candidats d’attribuer une valeur de certitude (pondération) à chacune de leurs réponses.

Si vous deviez choisir votre médecin traitant parmi ces candidats, choisiriez-vous simplement celui qui a répondu au maximum de bonnes réponses ? ou chercheriez-vous également celui-qui s’est montré le plus habile pour pondérer la certitude attribuée à ses réponses  (s’est montré certain lorsque ses réponses étaient justes, et réservé lorsqu’il a commis des erreurs) ? Une connaissance élevée, mais associée à une méta-cognition faible, peut s’avérer dangereuse. La pratique montre que la certitude d’un professionnel, fut-il de renom, peut conduire à de véritables catastrophes sanitaires, par retard de correction du diagnostic erroné et/ou par l’aggravation des troubles du à un traitement inadéquat. Libre à chacun de décider à qui il souhaite confier sa personne !

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La zététique fut définie comme l’Art du doute, par Henri Broch*. C’est cette même vertueuse incertitude qui va conduire votre partenaire de santé à poursuivre sa formation (en dehors de la pensée unique mise à disposition par les réseaux pharmaceutiques). C’est une remise en question permanente de ses compétences qui va l’encourager à enrichir continuellement son point de vue, par celui de ses confrères, des personnes qui font Autorité dans un domaine donné, et à aller rechercher les informations à la Source (auprès de chercheurs – véritables acteurs de l’ombre, au service de la Connaissance). Par nature, les connaissances médicales sont à considérer comme inévitablement imparfaites, et en constante évolution. Certaines certitudes d’hier peuvent être remises en question par des découvertes récentes, provenant d’études internationales novatrices ou émergeant de la synthèse de nombreuses publications passées, prise en compte (enfin) dans leur globalité et pondérées selon leurs qualités respectives (méta-analyses).

Comme déjà évoqué au travers du « biais d’impermanence du Savoir », Hippocrate et Galien étaient-ils de plus mauvais médecins que notre généraliste de quartier, ou ne disposaient-ils pas des mêmes connaissances pour asseoir leurs interventions ? Les patients peuvent-ils reprocher à leur médecin de ne pas savoir prédire l’avenir, ou plutôt de ne pas s’être tenu informé – de ne pas avoir maintenu leurs connaissances conformes au savoir contemporain de leur pratique ?

« Toute conviction est une maladie »  Francis PICABIA*.

Si on souscrit à cette vision, ladite maladie constitue probablement la plus handicapante pour l’homme de science. Elle le freinera inévitablement dans l’acquisition des nouvelles vérités émergentes…

 

Quand on cherche à comprendre la démarche médicale, le manichéisme* prend donc un sacré coup dans l’aile ! La nuance et l’incertitude se révèlent vite inévitables. Elles se confirment même parfois comme gages de compétence du professionnel de santé. Pourtant, si notre médecin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il risque fort de nous paraître insécurisant (parce qu’insuffisamment sûr de lui) : peu convaincu… donc, peu convainquant…

Si nous l’interrogeons sur l’innocuité d’un traitement, il ne pourra nous répondre qu’« en l’état actuel des connaissances ». Il nous parlera de « balance bénéfices/inconvénients ». Il sera obligé de nous avouer qu’il n’existe pas de certitude formelle que notre organisme (dans toute sa spécificité et sa particularité) réagira comme celui de notre voisine de pallier. Il lui arrivera peut-être même de nous avouer s’être trompé ! Beaucoup d’entre nous quitteront alors son cabinet pour fuir ce professionnel incompétent, hésitant, et ses réponses « de Normand ». Ils s’orienteront peut-être vers un individu dont le charisme n’aura d’équivalent que l’Ego.

Cette nouvelle relation thérapeutique leur permettra de retrouver cette position de « patient-passif », si agréable (lorsqu’il ne s’agit que de maladies bénignes). Peu à peu, l’assurance risquera pourtant de se teinter de condescendance simpliste. Les certitudes du «guérisseur» risqueront de surfer sur les plus hauts spots de l’ignorance et de la crédulité. Elles protègeront confortablement notre droit fondamental à la paresse intellectuelle. Les ordonnances à rallonge répondront à nos inquiétudes et nous maintiendront dans l’illusion d’être «entre de bonnes mains». Elles comporteront, dans le meilleur des cas, une liste de placebos (régal de l’industrie pharmaceutique) et, dans le pire des cas, des traitements superflus, à la balance avantages/risques défavorable, qui mettront un peu plus en péril notre état de santé (comme celui de notre système de soin moribond). Mais que se passera-t’il le jour où se manifestera un signe inhabituel, relevant peut-être d’une maladie grave ? Notre héro prendra-t’il le temps de s’interroger sur les différentes causes envisageables, face à ce nouvel indice ? Acceptera-t’il qu’il ne peut être spécialiste de toutes les disciplines médicales ? Saura-t’il solliciter ses confrères ? Espérons-le.

Souhaitons ne jamais avoir à regretter notre ex-médecin, tâtonnant. Celui qui hésitait, avant d’affirmer un diagnostic. Celui qui expliquait, parfois gêné, qu’il n’y avait pas de traitement efficace pour un rhume, autre que de simples lavages de nez. Celui qui cherchait désespérément à nous impliquer dans chaque décision thérapeutique. Nous nous rappellerons alors notre étonnement répété et nos réponses agacées:

« C’est vous le médecin ! »

 

Le comble du médecin n’est peut-être finalement pas tant de manquer de connaissances, mais surtout de se rendre coupable de psychorigidité et du sentiment d’auto-suffisance. Deux dangereux vaccins qui protègent de la saine remise en question.

Si notre médecin nous fait part de ses hésitations, nous informe de son cheminement, remercions-en le et rassurons-nous : Nous sommes probablement en sécurité !

 

 

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Lexique:

-Diagnostic: raisonnement menant à l’identification de la cause (l’origine) d’une défaillance, d’un problème ou d’une maladie

-Symptôme: en médecine, un symptôme (du grec συμπίπτω, « rencontrer ») ou signe fonctionnel est un signe clinique qui représente une manifestation d’une maladie, tel qu’exprimé et ressenti par un patient. 

-Syndrome: ensemble de signes cliniques et de symptômes qu’un patient est susceptible de présenter lors de certaines maladies, ou bien dans des circonstances cliniques d’écart à la norme pas nécessairement pathologiques.

-Nosographie: désigne la classification des différentes maladies. 

-Méthode hypothético-déductive: méthode scientifique qui consiste à formuler une hypothèse afin d’en déduire des conséquences observables futures (prédiction), mais également passées (rétrodiction), permettant d’en déterminer la validité. Elle est à la base de la démarche expérimentale.

-Pronostic: En médecine, le pronostic (du grec ancien πρόγνωσις, grec moderne πρόγνωση – littéralement savoir d’avance, prévoir) est la prédiction d’un médecin concernant le développement futur de l’état de son patient, et les chances éventuelles de guérison. 

-Biais cognitif: Un biais cognitif est un schéma de pensée, cause de déviation du jugement. Le terme biais fait référence à une déviation systématique par rapport à la réalité. L’étude des biais cognitifs fait l’objet de nombreux travaux en psychologie cognitive, en psychologie sociale et plus généralement dans les sciences cognitives.

-Méta-cognition: En psychologie, la métacognition est la « cognition sur la cognition » (le préfixe μετά signifiant « sur, à propos » en grec ancien). Autrement dit, la métacognition consiste à avoir une activité mentale sur ses propres processus mentaux, c’est-à-dire « penser sur ses propres pensées ».

-Henri Broch: (né le 8 novembre 1950, Nice) est docteur en sciences, professeur de biophysique théorique à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et directeur du Laboratoire de zététique.

-Francis Picabia: (né le 22 janvier 1879 à Paris (2e arrondissement) et mort le 30 novembre 1953) est un peintre, graphiste et écrivain français proche du mouvement Dada.

-Manichéisme: une attitude simplificatrice consistant à tout ramener à un combat du bien et du mal.

 

Sources et références:

http://www.pharma-sphere.be/fr/actualite/le-doute-creuset-du-savoir-médical

http://ignorance.medicine.arizona.edu/about-us/what-ignorance

http://campus.cerimes.fr/maieutique/UE-obstetrique/demarche_obstetricale/site/html/cours.pdf

-J Bioeth Inq. 2015 Nov 28. « Personal Knowledge » in Medicine and the Epistemic Shortcomings of Scientism. McHugh HM., Walker ST.

-J Eval Clin Pract. 2008 Oct;14(5):767-70. doi: 10.1111/j.1365-2753.2008.01011.x. Knowing–in medicine. Sturmberg JP, Martin CM.

 

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