MONSANTO: La chasse aux sorcières est-elle plus acceptable si la sorcière est vilaine ?

 

En épousant Monsanto « le damné »,  Bayer adopta inévitablement sa maudite progéniture, Roundup. Déjà haïe par le plus grand nombre, elle aggrava son cas.

Jadis, des jurés populaires condamnaient au bucher de supposées sorcières. Parmi les innocentes victimes, il est probable que certaines nous auraient parues plus sympathiques/ plus effrayantes que d’autres. Peut-être même cette inquisition a-t’elle mené à l’extermination (inopinée) de « mauvaises personnes » (NDLR: le lecteur est libre de mettre les critères qui lui paraissent pertinents derrière cette qualification imprécise)…

Pour autant, le verdict issu de la croyance populaire se révèle-t’il juste ? Un jugement erratique devient-il valable dès lors qu’il peut parfois mener à l’échaffaud de viles personnes, mal-intentionnées, voire même toxiques ? L’innocence d’un accusé pour des faits qui lui sont reprochés devient-elle négligeable dès lors qu’il est de notoriété publique qu’il n’est pas un être vertueux, par ailleurs ?

Un homme atteint d’un lymphome vient d’obtenir gain de cause devant les tribunaux. Il est convaincu que sa maladie résulte de l’usage d’un célèbre herbicide contenant du glyphosate.

Le texte qui suit est une traduction d’un article publié récemment sur le blog SicencesBasedMedicine. Il est rédigé par Steven Novella, professeur en neurologie à l’Université de Yale.

Le 10 Août dernier, un jury californien a accordé à Dewayne Johnson une somme de 289 millions de dollars à titre de dommages-intérêts contre l’entreprise Monsanto (désormais détenue par Bayer). La décision était fondée sur l’affirmation selon laquelle Johnson (un garde-forestier) a développé un lymphome non hodgkinien causé par exposition au Roundup. Un herbicide contenant l’ingrédient actif glyphosate mis au point par Monsanto.

La décision fera certainement l’objet d’un appel. Elle est déjà largement critiquée car n’est pas conforme aux données de la science.

 

Des précédents

Ce n’est pas la première fois qu’un jury accorde des dommages-intérêts sur la base de données scientifiques fragiles. Une entreprise a ainsi déposé le bilan suite à des poursuites judiciaires pour les conséquences présumées d’implants mammaires en silicone. Les données des recherches scientifiques n’étaient alors que préliminaires. L’accusation soutenait que les implants mammaires causaient une maladie auto-immune. Le fabricant niait. Les plaignantes ont probablement parus sympathiques aux jurés. Les entreprises le sont rarement, dans de tels procès. Pourtant en 2000, une méta-analyse a révélé:

« Sur la base de nos méta-analyses, il n’existe aucune preuve d’association entre les implants mammaires en général (ni les implants mammaires remplis de gel de silicone, en particulier), avec des maladies du tissu conjonctif, ni même avec d’autres réactions auto-immunes ou rhumatismales. Sur le plan de la Santé Publique, les implants mammaires semblent avoir un effet insignifiant sur le nombre de femmes chez lesquelles les maladies des tissus conjonctifs se développent. L’élimination des implants ne réduirait probablement pas l’incidence des maladies du tissu conjonctif. »

 

Mais ici : des conclusions scientifiques déjà connues

Il semble que nous soyons face à une situation similaire concernant le lien entre Roundup et cancer. Sauf que la méta-analyse est, cette fois, publiée avant le verdict du jury populaire. Et non après !

Le problème est que cette action en justice (et d’autres) a probablement été pour partie déclenchée suite à la décision de l’OMS de classer le glyphosate comme «cancérogène probable». Cette décision était pourtant une aberration et a immédiatement été critiquée. Plusieurs examens, indépendants de la décision de l’OMS, ont conclu que cette décision était erronée. La globalité des preuves ne permettait aucunement de conclure à l’existence d’un lien spécifique entre le glyphosate et le lymphome, ni même avec un cancer quelconque.

 

Des données provenant d’études

Une étude intéressante de 2017 a recherché pourquoi l’Union Européenne (qui a conclu que le glyphosate était sans danger) est arrivée à une conclusion différente de celle de l’OMS:

« L’utilisation de différents recueils de données, en particulier sur la toxicité à long terme / la cancérogénicité chez les rongeurs, pourrait expliquer en partie les points de vue divergents; mais des différences méthodologiques dans l’évaluation des preuves disponibles ont été également identifiées. L’évaluation de l’UE n’a pas identifié de risque de cancérogénicité. Elle a révisé le profil toxicologique, proposant de nouvelles valeurs toxicologiques de référence et effectué une évaluation des risques pour chaque utilisation par des usagers. »

Il a donc été utilisé des données et des méthodes différentes.

 

Des manipulations de données

Dans un rapport spécial publié le 14 juin 2017, les enquêteurs de Reuters ont découvert un fait édifiant:

 Un scientifique américain avait dissimulé certaines données.

Il s’agit du Dr Aaron Blair, auteur de la monographie 112 du CIRC portant sur le glyphosate.

Les informations scientifiques cachées en question comportaient des données récentes tirées de l’AHS (Agricultural Health Study). Il s’agit de l’étude la plus vaste et la plus complète jamais réalisée sur l’exposition humaine aux pesticides. Des preuves montrent que le Dr Blair n’a pas diffusé les mises à jour des données issues de l’étude évaluant l’exposition aux pesticides sur plus de 50 000 agriculteurs et de leurs familles. Elles confortent pourtant la conclusion initiale de l’étude de 2005, à savoir qu’il n’existe aucune preuve d’un lien entre l’exposition au glyphosate et l’incidence du cancer.

Les meilleures données que nous possédons ne montrent donc aucun lien entre le glyphosate et le cancer. Le Dr Blair aurait-il pu ignorer ces résultats ? Impliqué dans cette étude, il ne pouvait donc que connaître leur existence. En outre, sous serment, le Dr Blair a admis que « ces données auraient modifié l’analyse du CIRC« .

Nous mesurons maintenant pour partie les conséquences de cette mauvaise décision du CIRC.

 

Un avocat habile, des juges empathiques…

Pour gagner, l’avocat de Johnson a dû passer outre les faits scientifiques montrant que le glyphosate est sûr et non associé au cancer. Il l’a fait en prétendant que la composition globale du Roundup peut causer le cancer, même si le glyphosate seul ne le fait pas. Bien que cela ne soit pas impossible, il s’agit d’une affirmation peu plausible qui n’a toujours pas été prouvée. Il a s’agit simplement de déplacer le sujet pour éviter les preuves scientifiques plus catégoriques. Le stratagème a fonctionné.

Johnson affirme également qu’il a été confronté à deux reprises à des expositions accidentelles au Roundup. Il a donc été en contact à des doses beaucoup plus importantes que celles d’une utilisation normale. Pour autant, le délai entre l’exposition et le développement du lymphome non hodgkinien reste beaucoup trop court pour établir une relation causale. Ce fait n’a apparemment pas été jugé convaincant par le jury.

 

Au total

Pourquoi se soucier de cela ? Novella assure avoir de la sympathie pour M. Johnson. De même, il compatit avec les femmes qui ont développé des maladies auto-immunes après avoir reçu des implants mammaires en silicone.

C’est extrêmement important de responsabiliser les entreprises lorsque leurs produits portent préjudice. Les décisions de justice ne resteront efficaces que si la science prévaut.

Le glyphosate demeure manifestement beaucoup moins toxique que les herbicides de remplacement proposés. Si le glyphosate est interdit ou rendu inutilisable en raison de poursuites inéquitables et de verdicts prononcés par des jurys non spécialistes, une option agricole importante sera éliminée. Non pour des raisons scientifiques, ni parce que c’est la bonne décision, mais par crainte et ignorance. On peut, bien sûr, discuter et avoir des avis divergents sur l’usage optimal du glyphosate et des autres herbicides dans l’agriculture. Ce n’est pas l’objet de cet article.

Les décisions agricoles doivent être fondées sur un consensus basé sur la science et non sur les émotions de 12 jurés. Ces-derniers ont manifestement voulu punir Monsanto, en dépit de ce que dit la science. Cette décision, parmi d’autres, dénotent d’une faille dans notre système juridique. Cela soulève une problématique bien plus vaste que pour le seul champ d’application de cet article. Les règles relatives à la recevabilité et au rôle des preuves scientifiques dans les salles d’audience laissent encore beaucoup à désirer.

En fin de compte, cette affaire a consisté en une évaluation d’allégations scientifiques par un jury populaire. Difficile de justifier que de telles questions spécialisées puissent être tranchées par des jurés non experts.

 

Référence:

The Science Behind the Roundup Lawsuit by Steven Novella on August 15, 2018.

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