Raoult, l’hydroxychloroquine et la chasse au sorcières

Malo errare cum Raoultella quam damnare…

Le collectif FakeMed annonce « officiellement » soutenir le réanimateur Damien Barraud face au Pr Raoult, dans le différent qui les oppose. A l’instar de cette prise de position, c’est la quasi-intégralité des réseaux scientifiques, dits zététiques, qui s’accorde à condamner les propos du fantasque infectiologue… L’Afis*, elle-même, partage frénétiquement les articles de presse censés accabler l’ ex-savant, passé du côté obscure de la Force…

Choisirunmedecin.com prend le risque de se tromper avec le microbiologiste. Il paraît rationnel d’accorder du crédit à celui qui est reconnu comme un des plus grands spécialistes mondiaux du sujet sur lequel il s’exprime. Ce raisonnement peut paraître simpliste. Il s’appuie pourtant sur un fondement de la logique décisionnelle: le rasoir d’Ockham.* Il paraît actuellement particulièrement mis à mal. Quand la finance, la politique et les intellectuels semblent unis contre le simple bon sens –  redouté, ignoré ou dénigré selon les cas – on peut parler de crise de la pensée rationnelle.

Pour les patients, difficile de s’y retrouver actuellement. Le discours médical tenu par les experts en infectiologie reste pour le moins ambigu. Didier Raoult parvient pourtant faire l’unanimité contre lui, parmi les partisans du pragmatisme, défenseurs radicaux de la méthodologie scientifique. Les journalistes et les auteurs de blogs scientifiques multiplient les arguments: il leur semble urgent d’ouvrir les yeux des crédules sur la personnalité de Didier Raoult, tant que sur la posture pseudo-scientifique de ses préconisations thérapeutiques.

Doit-on faire totalement confiance aux critiques dès lors qu’elles se revendiquent adeptes d’un scepticisme « sans à priori » ?  L’adhésion aveugle n’est jamais recommandée. Optons plutôt pour l’exercice de l’Art du doute, fondement de la zététique. Son application est censée garantir nuance, humilité, respect et ouverture d’esprit.

Comment faire preuve d’esprit critique dans le brouhaha actuel ? La question est plus que jamais délicate. Un prêcheur en perdrait la foi… Voici donc un inventaire des arguments les plus fréquemment lus lors des discussions, parfois vives, entre experts de l’esprit scientifique.

Les fils de discussion tournent le plus souvent autour de 2 axes:

  • Didier Raoult est-il un professionnel compétent et crédible ?
  • L’application du protocole thérapeutique probabiliste « azithromycine + hydroxychloroquine » est-elle médicalement justifiée en l’état actuelle des connaissances ?

N.B: les attaques portant sur la nature perverse, misogyne, raciste, anti-sémite […] sont volontairement écartées de ce recueil, car considérées comme « hors sujet » … l’objectif n’est pas de décider s’il faut inviter le scientifique à un repas de famille, mais de chercher comment défendre le mieux possible les enjeux de Santé Publique face à la crise sanitaire actuelle.

 

 

 

Le personnage de Didier RAOULT

INCOMPETENCE

« C’est un mauvais chercheur »

Argument: Pour prescrire un traitement sur la base de ses seules données d’observation, brutes et insuffisantes, ce chercheur méconnaitrait les règles fondamentales de la méthodologie scientifique et les biais inhérents aux publications médicales.

Le Pr Raoult oublierait que, pour fournir des preuves solides de l’effet d’un médicament, une étude doit être menée sur 2 groupes de sujets, randomisée, en double aveugle, face à placebo, et sur des échantillons de sujets suffisamment grands. Ce n’est qu’à ce prix qu’on peut (tenter d’) affirmer l’effet spécifique d’une molécule et sa tolérance par l’organisme. On approche ainsi au mieux « la vérité ».

Réponse: Naïveté de Raoult ? Manque de rigueur ? Cela est improbable. Autant sous-entendre qu’un chercheur de renommée mondiale, riche d’une carrière de 40 ans de publications, fonderait son opinion médicale sur sa seule ignorance de l’épidémiologie. Nombreux sont ceux qui le corrigent ainsi sur le web. Il en découle des situations cocasses: des élèves de collège expliquant à leur prof agrégé de mathématiques comment effectuer une soustraction. Ces règles élémentaires de statistiques, appliquées à la médecine, sont au programme de première année de médecine. Certains pensent donc que le Pr Raoult devrait y retourner. Un argument comme un autre, mais relativement osé.

« Sa réputation est usurpée »

Argument: Il faut reconnaître qu’aucun confrère ne semble s’être autorisé à ce type de sous-entendu. Simple confraternité, peut-on penser…

Lorsque des critiques sont exprimées par les médecins, la plupart d’elles commence de la sorte: « Le Pr Raoult est un imminent microbiologiste, un épidémiologiste de renom, à qui l’on doit le respect pour ses travaux majeurs dans le domaine de l’infectiologie, MAIS…. »

Les non-médecins s’autorisent à prendre moins de précautions:

  • champion de l’ « auto-citation » de ses propres travaux, en références de ses articles scientifiques.
  • nombre de publications durant sa carrière, gonflé en apposant sa signature sur des articles rédigés par ses collaborateurs et attachés de recherche clinique.
  • publication d’études sans aucun intérêt ni valeur scientifique au sein de revues de bas niveau.

Réponse: Ceux qui défendent ces arguments semblent méconnaître le monde de la recherche médicale. Ils sauraient sinon qu’ils décrivent un mode de fonctionnement qui est généralisé. Raoult ne peut en revendiquer la paternité (à moins de lui prêter un statut d’influencer dont lui-même n’oserait se venter !)

  • Les auto-citations sont pratiques courantes (justifiées pour certains, « de bonne guerre » pour d’autres…)
  • Tout doctorant connait le sentiment d’injustice face à l’appropriation rituelle par les directeurs de recherches des travaux de leurs élèves.
  • Il a publié plusieurs articles dans les revues de premier ordre (The New England Journal of Medicine, Science, Lancet, Nature…). Une seule et unique publication de ce niveau marque bien souvent l’aboutissement d’une carrière pour la plupart des professeurs de médecine.

Dénoncer ces pratiques comme spécifiques à Didier Raoult relève soit de l’ignorance, soit de la mauvaise fois. Difficile de trancher sur ce point. Ceux qui souhaitent décrédibiliser la carrière de l’infectiologue marseillais feignent de croire en une image idéalisée du monde de la recherche scientifique.

La recherche scientifique chez les Bisounours: « Non, je refuse que mon nom apparaisse parmi les auteurs de la publication de mon élève. Je ne me sens pas légitime. C’est lui qui a tout fait ! »

« Non, ne citons pas nos publications antérieures comme références à notre dernier article sur le même sujet. Se serait un manque d’humilité inacceptable ! »

 

Argument 2: Il est impossible de déterminer qui est le chercheur le plus crédible, le plus réputé au sein de la corporation. Rien ne permet de classer les scientifiques entre eux.

Réponse2: C’est partiellement faux. Il existe bel et bien des outils pour évaluer l’apport d’un chercheur à la connaissance scientifique.

Parmi eux, l’indice H (ou H index).  L’indice H attribue un score basé sur le nombre de publications produites durant une carrière, la valeur de l’impact factor des revues dans lesquelles elles sont publiées, le nombre de fois que lesdites publications sont citées par d’autres auteurs, etc…  Or, si on se fie à l’indice H de Raoult, le voilà propulsé aux premières places du « Top 50 des chercheurs internationaux« .

Indice H ? Méthodologie de calcul imparfaite, contestable, critiquable, argueront, à juste titre, les puristes. Les mêmes failles existent dans bien d’autres domaines. Le sport en est l’exemple le plus parlant. Beaucoup de passionnés pointent les limites du classement FIFA (pour le football), des points ATP (pour le tennis)… et ils ont souvent raison. Il reste plus rare cependant d’entendre quelqu’un affirmer que le Brésil est une faible nation footballistique et Djokovic un piètre tennisman. Raoult ne bénéficie pas de la même tempérance auprès des sceptiques.

Son travail sur les virus géants, les bactéries ayant reçues son nom, son apport dans les stratégies de lutte contre la fièvre Q, les publications étudiant l’effet de la chloroquine sur certains coronavirus dès 2007, pourraient plaider pour sa légitimité lorsqu’il ose s’exprimer sur un sujet qui appartient au champ de ses compétences… Pourtant, les rationalistes restent convaincus d’avoir démasqué un faussaire. Ils se retranchent alors derrière leur refus (légitime) de l’Argument d’autorité.

Ceux qui concèdent qu’il est difficile d’attaquer Raoult sur sa compétence (et on les comprend), adoptent un autre angle d’attaque: « il défend les intérêts de Sanofi…. il cherche à tirer profit de cette situation »

 

MALHONNETE

Cette attaque paraît plus crédible, si on tient compte des paradoxes qui rendent caduques les précédentes critiques.

Au fond, personne ne peut prétendre attester de la probité véritable du personnage iconoclaste, aux propos parfois outranciers. Impossible de se porter caution morale d’une personne avec laquelle on n’entretient aucun lien personnel direct. Il s’agirait d’une posture de principe qui confinerait au culte de la personnalité voué au gourou. Les esprits critiques s’exaspèrent d’ailleurs régulièrement sur le web de l’adoration des pro-Raoult pour leur idole.

Argument: Raoult défend l’hydroxychloroquine car cette molécule appartient au laboratoires Sanofi avec lesquels il entretient des rapports privilégiés (Sanofi financerait d’ailleurs l’IHU de Marseille). CQFD !

Réponse: L’hydroxychloroquine est une molécule dont l’ancienneté rend son brevet obsolète. Tout laboratoire pharmaceutique est donc autorisé à produire la forme générique du Plaquenil(r). L’intérêt financier de Sanofi est donc battu en brèche. Au contraire, Sanofi possèderait, dans son catalogue de traitements, une molécule plus récente toujours protégée par brevet. elle. Le Kevzara(r) est ainsi testé par certains protocoles d’essais thérapeutiques contre le Covid 19.  L’intérêt de Sanofi serait clairement que la piste hydroxychloroquine n’aboutisse pas, que le Kevzara(r) confirme les espoirs nourris et justifie le financement des essais en cours.

Enfin, si Raoult a reconnu un partenariat initial avec Sanofi (précisant que ce type de mécénat est une règle imposée à la création des unités de recherche, quelles qu’elles soient), il précise dans une interview que Sanofi ne finance plus son institut. Information confirmée par l’industriel lui-même.

Alors, incompétent ? malhonnête ? Difficile de comprendre ce qui a poussé le Pr Raoult à s’engager dans cette galère, isolé de bon nombre de ses pairs (en tout cas en France), relégué au rang des Pr JOYEUX, BELPOMME, voire du criminel Dr MENGELE…

 

CABOTIN

En bon mégalomane narcissique, Didier Raoult aurait tout simplement souhaité attirer projecteurs et caméras sur sa personne...sortir enfin de l’ombre provinciale…un chant du signe pour celui qui s’approche dangereusement de sa fin de carrière. La publication d’un livre dans les mêmes temps que la survenue de la crise du coronavirus paraît hautement suspecte ! La ficelle paraît un peu grosse, Didier. Raoult manque définitivement d’habilité en marketing.

Argument: il envahit la toile de ses vidéos qui sont partagées avec une telle ampleur qu’il y mettrait en danger la santé des français.  Il les encouragerait à ingérer de la quinine de façon sauvage (discours qui n’a bien sûr jamais été tenu par l’intéressé). En manque de reconnaissance médiatique, il aurait exploité l’effet d’annonce d’une stratégie thérapeutique improbable pour sortir de l’anonymat.

Réponse: si on se base sur les témoignages recueillis auprès des infectiologues internationaux, il semble entendu que ce n’est pas auprès d’eux que Raoult manquait de popularité.

C’est donc probablement auprès du grand public que Raoult souffrirait de ne pas être reconnu. Il signe pourtant des chroniques pour le journal Le Point, puis les Echos, depuis 2011.

Quand à l’ouvrage qu’il tenterait de promouvoir avec tant de maladresse, il s’agit de son 7ème livre publié depuis 20ans.

Concernant l’envahissement des propos de Raoult dans les médias, il faut admettre que son attaché de presse a suivi une stratégie relativement atypique. Elle consiste manifestement à snober les médias nationaux télévisuels: aucun passage sur les plateaux de BFM-TV, aucune interview au 20H, aucune participation aux débats organisés sur les différentes chaînes nationales… Les vidéos partagées sur youtube furent initialement des enregistrements sommaires, tirées des ses enseignements à l’IHU Marseillaise. Depuis, celles-ci se sont enrichies de brèves interviews régulières, dans son bureau, menées par un journaliste manifestement amateur.

Si Raoult a ambitionné d’inonder (voire, de polluer) le web de ses élucubrations, il faut néanmoins lui reconnaître une réussite insolente .

Pire encore, cet assoiffé de reconnaissance est allé pousser le paradoxe jusqu’à se retirer du Conseil scientifique constitué par le Président de la République. Il avait enfin l’occasion de rejoindre ses pairs parisiens, dont il envierait tant la proximité au pouvoir politique. Avait-il prévu qu’Emmanuel Macron irait jusqu’à effectuer le voyage jusqu’à Marseille afin de s’entretenir avec lui, 10 jours plus tard ? Sacré coup de poker !

 

 

 

Le traitement par hydroxychloroquine (associé à l’azithromycine… même si tout le monde semble l’oublier)

Les critiques les plus avisées se détournent du personnage de Didier Raoult et des attaques ad hominem pour s’intéresser au traitement qu’il défend avec tant d’aplomb.

Absence de fondement scientifique

Argument: on ne dispose pas d’étude randomisée en double aveugle face à placebo portant sur un échantillon de sujets suffisamment grand. Impossible d’attester un quelconque effet thérapeutique à ce protocole thérapeutique expérimental sur le Covid 19. Les premières données mises en avant par Raoult présenteraient des faiblesses méthodologiques telles qu’il paraitrait inepte qu’elles aient pu être publiées dans des revues scientifiques. Certains, on pu ainsi parler de « torchons » pour bien traduire le niveau de leur indignation.

Réponse: heu… oui… mais, non ! Bien sûr que les maigres données brutes sont insuffisantes pour attribuer une AMM à l’hydroxychloroquine dans son action sur le coronavirus. Bien sûr que les biais sont tels qu’il est impossible de tirer quelconque conclusion définitive à ces observations empiriques. Peut-on cependant laisser croire aux patients que les découvertes des traitements majeurs (et leur utilisation en pratique clinique) ont été chaque fois précédées par leur validation statistiquement incontestable, à grand renfort d’études randomisées en double aveugle réunies en méta-analyses de hauts niveaux ? Cela est incontestablement faux. Personne n’osera défendre cela (encore que, par les temps qui courent…)

Ceux qui crient au scandale quant à la publication des « torchons » de l’IHU Marseillais semblent n’avoir pas mis le nez dans la banque de données PubMed qui permet d’accéder aux publications médicales internationales. Ils y auraient découvert qu’elle regorge de rapports de cas isolés, d’études observationnelles sur faibles effectifs, d’expérimentations in vitro ou sur modèle animal plus ou moins pertinent… Les études dont ils vantent les méthodologies rigoureuses ne composent qu’une partie infime des articles médicaux. Et pour cause… elles ont le plus souvent été initiées suite à une accumulation d’arguments préliminaires… elles ont le plus souvent été financées parce que la molécule développée présentait une intérêt financier. Les « torchons »  constituent les étapes préalables à leur « Graal ». L’investissement conséquent que nécessite les protocoles tant loués par les puristes nécessite inévitablement l’intervention de capitaux privés, injectés par l’industrie pharmaceutique. Inutile de préciser que celle-ci a quelques réticences à financer des études portant sur l’effet d’une vieille molécule, tombée dans le domaine publique et sans aucun retour sur investissement. Dans le contexte sanitaire de publications des « torchons » de Raoult, comment expliquer que les « torchons » concomitants, publiés par ses confrères n’aient pas soulevé autant de critiques ? Celui qui vantait le Remdesivir(r) est-il plus acceptable que le linge sale marseillais ?

Il est ainsi inexact de laisser supposer que la connaissance scientifique ne se nourrit que de protocoles prospectifs à la qualité optimale. Il existe des étapes initiales auxquelles la recherche doit s’accommoder: on n’aboutit pas tout de suite à des méta-analyses. Les publications préalables sont parfois d’un faible niveau de preuve mais contribuent à l’accumulation progressive d’indices. Il n’y a pas de scandale à cela, tant que l’auteur d’un rapport n’est pas guidé par une volonté de fausser ses résultats pour défendre son intuition préalable. Ceux qui se proposent de donner des cours de méthodologie aux chercheurs de terrain pêchent donc probablement par excès de naïveté, par méconnaissance des réalités inhérentes à la recherche… ou encore, par mauvaise foi… A chacun d’évaluer…

Dangerosité

Actuellement, c’est le principe de précaution qui est brandi pour justifier l’abstention thérapeutique face au nouveau virus.  Les mises en gardes vis-à-vis de la toxicité de l’hydroxychloroquine condamnent l’attitude du médecin marseillais, taxé d’irresponsabilité. Lui, arguait pourtant que l’innocuité largement documentée de la molécule était, au contraire, un élément plaidant pour la prescription compassionnelle* (c’est d’ailleurs ce que la FDA semblait avoir jugée également).

Argument: fenêtre thérapeutique étroite, risque d’atteinte rétinienne, toxicité cardiaque, sont les principaux risques mis en avant par ceux qui déconseillent fermement l’usage du traitement.

Réponse: L’hydroxychloroquine pouvait être délivrée librement sans ordonnance jusqu’en Janvier 2020. Un arrêté l’a ensuite subordonnée à prescription médicale obligatoire. Durant la crise de coronavirus, Edouard Philippe a annoncé prendre des mesures pour encadrer sa prescription de façon à l’interdire en dehors des reconductions de prescriptions pré-existantes pour maladies chroniques conforment à l’AMM, ou de primo-prescriptions hospitalière décidées par des spécialistes dans « les cas graves de COVID 19 ». On a jamais observé un tel changement de statut pour un médicament sur un intervalle de temps aussi court. La fenêtre thérapeutique censée être étroite n’a pas empêché son utilisation depuis de nombreuses années chez des millions de voyageurs (non malades !) dans le cadre de la prévention anti-paludisme. Les atteintes rétiniennes peuvent être craintes lors d’usage prolongé pendant plusieurs années (le protocole de Raoult propose 10 jours de traitements !). La fameuse toxicité cardiaque repose sur un risque d’allongement de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme. Espace séparant deux ondes sur le signal ECG dont l’allongement expose au risque de troubles du rythme cardiaque. Cet effet est commun à de nombreux médicaments: neuroleptiques divers, anti-émétiques, antihistaminiques, certains antidépresseurs…. Ces derniers ne semblent pas engendrer autant de craintes lors de leurs prescriptions larga manu. Un simple ECG préalable à la prescription permet d’écarter les sujets qui seraient à risque de troubles du rythme (QTc longs congénitaux, co-prescriptions médicamenteuses….) Pour le moment, l’alerte donnée par certains professionnels de santé reste difficilement compréhensible pour de nombreux médecins de terrain. Une fois de plus, on peut s’étonner que les essais de Remdesivir(r) n’aient pas engendré le même niveau de contestation pour une molécule aux effets secondaires bien plus fréquents et sévères.

Evidence Based Medicine

Arguments: prescrire le protocole du Pr Raoult relève de la pseudo-médecine. Ses préconisation ne respectent pas les fondements de la médecine basée sur les preuves.

Réponses: La médecine basée sur les preuves ne contraint pas les médecins (bien heureusement) à ne prescrire que les traitements dont le niveau d’évaluation a permis d’aboutir à une certitude totale quant à leur efficacité sur la maladie traitée ! Le prescripteur doit décider de son intervention thérapeutique en fonction de l’évaluation d’une balance bénéfice/risque. Celle-ci doit être estimée à la lumière des connaissances actuelles de la science. Si le praticien ne dispose que de faibles preuves, ce sont celles-ci qu’il doit prendre en considération. Ces faibles preuves doivent être correlées au risque auquel on expose les patients en ne leur proposant aucune intervention thérapeutique (abstention) et au risque que peut représenter la substance thérapeutique envisagée.

  • S’il s’agit de traiter une verrue, la nécessité d’intervenir ne sera pas la même que dans un contexte de pandémie massive, cause de nombreux décès, de la saturation de certains services de réanimation et de la mise à l’arrêt de tout un pays (avec les conséquences sanitaires indirectes qui en découlent).
  • Si on envisage l’administration d’une molécule nouvelle, dont les effets indésirables sont totalement inconnus, la prudence requise ne sera pas la même que celle qui est justifiée pour une molécule ancienne et largement prescrite dans le monde.
  • Enfin, le niveau de preuve requis doit tenir compte des explications pharmacologiques qui sous-tendent le bénéfice escompté. Si on base l’hypothèse d’un effet bénéfique sur le seul mythe de la mémoire de l’eau, le niveau de preuve exigé par le prescripteur devrait être différent que si elle découle de la connaissance étroite des mécanismes d’action d’un principe actif, des caractéristiques structurelles et physiologiques des micro-organismes visés, d’expérimentations préalables fussent-elles in vitro…

On étudie ici les fondements de décision d’un microbiologiste pour agir sur une maladie infectieuse… Raoult n’est pas orthopédiste !

On ne peut nier l’absence de certitude sur les bénéfices véritables du protocole de prise en charge du Covid 19 par l’IHU de Marseille: hdroxychloroquine + azithromycine.  

Il est faux d’affirmer que celui-ci est contraire aux règles de l’Evidence Based Medicine. Il est bien sûr tout à fait légitime de le discuter et indispensable de réévaluer régulièrement sa balance bénéfice/risque à la lumière des nouvelles informations qui ne cessent d’émerger.

 

 

Ses autres prises de position vis-à-vis de la crise sanitaire actuelle

Beaucoup fondent le discrédit qu’ils portent aux préconisations du Pr Raoult sur les erreurs de jugement qu’il n’aurait cesser de commettre depuis le début de l’épidémie de coronavirus.

Il est légitime de tenir compte des prises de position antérieures d’une personne, pour évaluer le crédit à lui accorder à ces nouvelles opinions. Donc, pas de problème à effectuer ce recueil.

Arguments: Il n’a pas vu venir l’épidémie. Il l’a banalisé et a raillé ceux qui prédisaient une pandémie.

Réponse: C’est vrai ! Bien que criant haut et fort ne jamais faire de prévisions, le Pr Raoult s’y est manifestement risqué … avec peu de réussite. Il faut bien le reconnaître, Raoult serait  un mauvais astrologue.

Il faut cependant être exhaustif:

aucun infectiologue n’a prédit l’ampleur que cette épidémie à prise, ni ses conséquences. Le Pr Malvy de Bordeaux (autre membre du Conseil Scientifique) déclarait lui-même en Février: « ce virus ne nous piègera pas, nous l’avons anticipé … » Visiblement, quelque chose a échappé aux spécialistes. Peut-être le comprendrons-nous un jour.

– d’autres prises de position ont été exprimées, au cours de cette crise sanitaire, par le médecin marseillais. Curieusement, elles sont bien moins évoquées lorsqu’on fait référence au personnage:

  • préconisation de tests de dépistages de grande ampleur,
  • confinement et traitement ciblés selon les résultats des tests,
  • biais de surestimation de la létalité véritable du virus (par sous estimation des asymptomatiques ou des cas légers),
  • possible surestimation du risque de contamination par les enfants (charge virale faible chez eux),
  • saisonnalité éventuelle de ce virus à tropisme ORL prédominant…
  • hypothèse d’une seconde vague peu probable.

Il sera important d’évaluer combien de ces analyses se vérifieront.

 

 

 

Une vérité très prochaine ?

Beaucoup de données vont se préciser dans les semaines et mois à venir. Les événements permettront à chacun d’observer la réalité, telle qu’elle se manifestera, et de la comparer aux différents discours tenus par nos élites et nos hommes de sciences. Le temps des comptes sera venu.

D’autres points risquent de demeurer bien plus obscures. Les conditions d’apparition de l’épidémie actuelle risque de faire couler beaucoup d’encre et de nourrir bien des fantasmes. Le doute sur la fiabilité et l’exhaustivité des informations fournies par le gouvernement chinois ne favorise pas l’optimisme.

Alors qu’on se convainc que les résultats des essais en cours devraient très vite mettre tout le monde d’accord quant aux traitements efficaces ou non sur le Covid 19, la réalité risque de se révéler bien plus complexe.

L’essai européen DISCOVERY semble tarder à rendre ses premières conclusions. Parmi les 4 protocoles expérimentaux évalués, la chloroquine y est administrée en monothérapie pour des raisons non élucidées. Le Pr Raoult prône pourtant bien l’association avec l’azithromycine. Au delà, il semblerait que cet essai perde également de son intérêt en raison du stade trop avancé des Covid 19 traités. Beaucoup de spécialistes s’accordent à penser qu’au stade de détresse respiratoire la survie ne dépend plus sur le contrôle de la charge virale mais de contrer une réaction inflammatoire auto-immune aïgu (« orage de cytokines »). L’IHU de Marseille préconise pourtant bien depuis des semaines une intervention au stade précoce de la maladie.

L’essai COVERAGE, initié à Bordeaux et mené sur le territoire français, évalue le traitement de patients atteints du Covid 19 à un stade plus précoce et/ou moins sévère que DISCOVERY. Malheureusement, là encore, la chloroquine est évaluée seulepas de trace d’azithromycine dans ce protocole de recherche. Parmi les 4 bras de l’étude, un évalue pourtant une bithérapie anti-virale, une autre une tri-thérapie…

Un essai mené à Montpellier devrait pallier à ces manquements…

D’autres sont en cours dans le monde…

Si ces études ne devaient déboucher sur aucune conclusion formelle (pourtant bien randomisées, comparatives et tout et tout…), les développeurs d’une nouvelle molécule salvatrice et/ou d’un vaccin efficace n’auraient donc rien à craindre. Pas de risque que la découverte empirique de l’efficacité d’une vieille molécule déjà connue de notre pharmacopée vienne contrarier la course au profit dans laquelle ils viennent de se lancer.

On (re)découvre une réalité qu’on feignait d’ignorer jusqu’à cette nouvelle illustration flagrante: le système de financement de la recherche médicale par  l’industrie pharmaceutique ne peut être considéré comme cohérent tant que la législation sur les brevets d’exploitation des molécules existantes ne sera pas intégralement modifié. Impossible d’imaginer qu’il y ait une indépendance dans le choix des pistes à privilégier par la recherche. La santé publique ne peut que pâtir de cette situation. Ce constat est malheureusement incontestable, qu’on apporte ou pas du crédit à la proposition de traitement formulée par le Pr Raoult.

Les infectiologues ne formulent pas les critiques les plus cinglantes. Le plus souvent, ils se contentent  de contester avec diplomatie la pertinence de l’usage de chloroquine, tout reconnaissant le talent de leur illustre confrère phocéen.

Les médias officiels paraissent déjà bien plus hardis. Le Decodex du Monde n’hésita pas à alerter sur l’inexactitude des propos tenus par l’infectiologue au cours d’un enseignement diffusé via une de ses premières vidéos partagées sur la toile en début d’épidémie. Les professeurs n’ont qu’à bien se tenir, les journalistes se tiennent désormais prêts à juger du crédit à accorder à leurs enseignements universitaires.

Plus préoccupants encore, les plus virulents détracteurs se trouvent dans le rang des pourfendeurs des fake news, des défenseurs de la pensée rationnelle et du sens critique. L’affaire est entendue pour eux: les lois fondatrices des bio-statistiques sont formelles, Raoult est un rigolo, un ignorant, ou un malhonnête. Ceux qui se revendiquent souvent comme « incroyants » sont d’ores et déjà partis en croisade contre celui qu’ils ont clairement désigné comme hérétique….

L’histoire est un éternel recommencement. Les vagues d’épidémies ont toujours existé. Seuls les agents pathogènes changent de forme. Il semble qu’il en soit de même pour l’inquisition, les procès d’intention et l’effet de meute.

 

Lexique:

Afis: Association française pour l’information scientifique.

Rasoir d’Ockham: principe de raisonnement philosophique, traduit approximativement par « les hypothèses suffisantes les plus simples doivent être préférées« .

Prescription compassionnelle:  ne relève d’aucune expérience, d’aucun essai clinique, mais vise à traiter une personne qui nécessite une nouvelle solution thérapeutique pour mieux maîtriser la maladie.

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