Confession d’un psychiatre de province qui ne se remettra pas du Covid19

Cette crise sanitaire aura sur ma vocation des conséquences irréversibles. Ce n’est pas tant l’impact du confinement sur mes patients qui m’a destabilisé, mais la réaction de mes pairs face à cette subite menace sanitaire. Les médecins, soignants, devenus de la « chair à canon » selon leur propre terme. Héros, malgré eux, d’un drôle de combat contre un ennemi invisible. Agresseur aux origines troubles dont on ne parvient toujours pas à préciser la puissance de tir véritable. Une guerre menée sans même savoir définir les armes, ni les stratégies de combat, susceptibles d’ être efficaces.

 

Moi, j’ai l’impression d’être resté en arrière ligne… J’ai raté le train qui conduisait au front. Je ne revendiquerais pas la victoire. En fait, je n’ai rien compris à ce qui se passait.

 

UN JEUNE SOLDAT PLEIN D’AMBITION

Quand j’ai décidé de faire des études de médecine, j’étais un fervent défenseur de l’Esprit critique. La démarche scientifique sur le modèle hypothético-déductif était mon credo.

Je ne me serais jamais imaginé ce que le destin me réserverait deux décennies plus tard : enrôlé au sein de la secte des Raoultiens !

Moi qui étais parvenu à fuir les scientologues, les raëliens, et même les « Églises officielles ». Quelle fin tragique. Quelle déroute décevante.

 

Jeune interne en psychiatrie, je croyais en l’intégrité de mes pairs. J’admirais la rigueur scientifique des chefs universitaires. Je défendais une complémentarité pragmatique entre les cliniciens-chercheurs et l’industrie pharmaceutique. Les laboratoires nous courtisaient d’ailleurs bien vite, sous le regard contemplatif de nos maîtres, les « Professeurs des universités ». Elle se manifestait alors sous les traits affables de sympathiques délégués médicaux. L’accompagnement bienveillant des internes se voulait une honorable contribution des capitaux privés pour un système public bien indigent. Un « coup de pouce » vertueux, supposé rendre notre internat agréable, tout en nous favorisant l’accès à la « Connaissance Médicale », via les colloques et autres congrès dont les inscriptions nous seraient généreusement offertes.

 

UN REGARD CYNIQUE SUR LA NAIVETE DES « VIEUX MEDECINS »

 

Adepte de la zététique, je m’étonnais déjà qu’une si grande proportion du corps médical ait pu croire en l’improbable fable de la mémoire de l’eau, servie par le gourou Benveniste. Que des hommes de sciences puissent continuer de prescrire des granules de sucre, composés… d’eau et de sucre, me stupéfiait. Des « dilutions de perlimpinpin » qui avaient permis la fortune d’un entrepreneur français de génie. Remède inoffensif peinant désespérément à faire preuve d’une quelconque efficacité contre placebo.

J’y reconnaissais d’ailleurs les premières limites de la recherche scientifique. Et oui, des études plaidant pour un effet spécifique de l’homéopathie existaient bel et bien. Les adeptes du sucre le répétaient régulièrement comme un mantra d’immunité. Il fallait juste considérer ces-dernières parmi la multitude d’études randomisées en double aveugle affirmant le contraire. Même pas besoin de faire référence à la probable quantité d’études qui ne seront jamais publiées en raison de leur conclusion décevante: absence de résultat significatif (« biais de publication »).

 

LA REVOLUTION EN SANTE MENTALE

 

La psychiatrie serait donc ma discipline d’exercice. Tout était à découvrir en santé mentale ! Le savoir n’attendait qu’à être reconstruit correctement. Je condamnais d’ailleurs fermement le retard pris par notre traditionnelle exception française. Carcan tenace du dogme psychanalytique dont j’observais les derniers, mais néanmoins vigoureux, soubresauts. Ce temps obscur était désormais révolu.

Fini la paléo-psychiatrie. Le temps de la médecine basée sur les preuves était venu.

 

UNE NAIVETE COUPABLE ?

 

Je pensais appartenir à une nouvelle génération de psychiatres. Mes confrères seraient désormais des scientifiques aguerris. J’entendais d’ailleurs déjà mes tout proches aînés employer un vocabulaire d’expert (parfois abscond) qui me renvoyait mon ignorance. Ils faisaient, ici et là, référence aux dernières publications scientifiques, suscitant en moi l’angoisse de ne jamais trouver le courage de m’astreindre à une telle veille des connaissances actualisées.

 

UN RECUEIL DES CONNAISSANCES FIABLES PLUS COMPLEXE QUE PREVU

L’agréable manichéisme

Et puis, un jour, j’ai eu l’idée saugrenue de vérifier la réalité des sources que mes aînés citaient durant leurs conversations savantes. Quand elles existaient bel et bien, je me risquais même à en lire les contenus. Années de mes premières déceptions sentimentales…

Mon passage dans le service universitaire d’un brillant professeur (N.B : pas de ceux qui passent sur les grandes chaines françaises, mais de ceux qui représentent la France, dans l’anonymat médiatique, quand il s’agit de réunir les avis d’experts internationaux) m’a appris que la science supportait mal le manichéisme. Que les certitudes étaient des denrées rares, sinon illusoires.

Les rédacteurs de la revue Prescrire, faisaient bien preuve de probité. Mais la probité s’avérait insuffisante sans l’intelligence des savants. Les grandes études internationales étaient souvent publiées par des génies. Mais de tristes histoires de publications, retirées pour fraude manifeste, nous ont appris à savoir douter de la probité de certains d’entre eux.

L’inconfortable nuance

Je dois mes premières grosses déconvenues aux reviewings d’articles tirés des meilleures revues internationales. Bien que publiés, la plupart ne permettaient pas de tirer une quelconque réponse à la problématique explorée. Malgré les tentatives répétées de protocole, ô combien couteux, combien de résultats ressortent comme  véritablement significatifs et exploitables, sans les coups de pouce innocents d’un malencontreux biais méthodologique ?  Quand on est un jeune lecteur, on découvre également l’inattendu paragraphe des « déclarations des conflits d’intérêt », en fin de publication: gage de vertu des publications scientifiques ou aveu d’un système inexorablement vicié ?

Enfin, l’expérience permet de nourrir plus encore deux fondements précieux de la science:  le doute et la nuance. L’histoire de la connaissance médicale permet de découvrir combien d’études furent considérées comme d’indéniables références avant de se retrouver contredites par de plus récentes : mieux menées ? mieux financées ?

 

LE DRAME : DES NOUVELLES MOLECULES A TOUT PRIX

 

Les psychiatres sont des médecins prescripteurs. Ils se doivent donc d’être un minimum avertis des données pharmacologiques concernant les traitements qu’ils préconisent. Pas de problème, il suffisait d’écouter nos interlocuteurs de première ligne: les délégués médicaux.

Faire du neuf avec du vieux:
Obsolescence du Dépamide ?

Et puis, il y a eu le Dépakote® (valproate de sodium) descendant du Dépamide® (valpromide) ; des régulateurs d’humeur, des cousins suffisamment proches pour partager les même propriétés thérapeutiques, mais suffisamment différents pour permettre l’obtention d’un nouveau brevet (au moment même où se termine celui de la molécule obsolète). Des études lui montraient d’ailleurs plus d’efficacité et moins d’effets secondaires !

Mort du Tégrétol !

Il y a eu le Trileptal® (oxcarbazépine) descendant du Tégrétol® (carbamazépine) ; des régulateurs d’humeur, des cousins suffisamment proches pour partager les même propriétés thérapeutiques, mais suffisamment différents pour permettre l’obtention d’un nouveau brevet (au moment même où se termine celui de la molécule obsolète). Des études lui montraient d’ailleurs plus d’efficacité et moins d’effets secondaires !

La cavalerie sauve le seropram

Il y a eu le Seroplex® (escitalopram) descendant du Seropram® (citalopram) ; deux antidépresseurs, cousins suffisamment proches pour partager les mêmes propriétés thérapeutiques, mais suffisamment différents pour permettre l’obtention d’un nouveau brevet (au moment même où se termine celui de la molécule obsolète). Des études lui montraient d’ailleurs plus d’efficacité et moins d’effets secondaires !

Si ma mémoire est bonne, le Seroplex® avait bénéficié d’une méta-analyse, d’une qualité rare, publiée dans… le réputé Lancet. Elle en comparait les effets thérapeutiques et secondaires avec l’intégralité des autres antidépresseurs de même catégorie. Le Saint Graal pour tout prescripteur ! Comment rêver un niveau de preuve plus élevé ? Pourtant, on a appris depuis que le citalopram et l’escitalopram exposent à un risque d’allongement du QT et donc au risque de troubles du rythmes cardiaques. Le fameux danger inacceptable qui justifie le retrait de l’hydroxychloroquine des essais sur le Covid. Les autres molécules de la même classe ne semblent pas exposer à ce risque. Néanmoins, le Seroplex® demeure aujourd’hui l’antidépresseur le plus fréquemment prescrit en première intention.

 

Il y eu d’autres découvertes révolutionnaires, survenues à point nommé pour prolonger l’intérêt lucratif de molécules vieillisantes :

-Le Risperdal Consta®, forme retard du neuroleptique de l’anti-psychotique Risperdal® (risperidone). Les effets secondaires étaient promis comme tellement moindres et la posologie requise tellement plus ajustée, qu’il nous fut même recommandé de le prescrire en première intention pour nos patients de moins de 30 ans… Outre l’intérêt pour leur santé, il s’agissait de contribuer à l’avancée de la science en participant ainsi à une étude, observationnelle, sans comparaison à la forme orale, évidemment… Mais ne soyons pas trop regardants, cela devait être publié dans une revue de premier rang. Accessoirement, une indemnité de 300 euros devait nous être versée, pour chaque patient inclus dans l’étude. De la prescription forcée ? Non, loin de là.

-Le Zyprexa velotab® (olanzapine): comprimés oro-dispersibles. Un gadget ? Pas du tout. Il ne fallait surtout pas laisser les pharmaciens délivrer la forme générique du Zyprexa® puisque cette nouvelle forme galénique (protégée par brevet) était à disposition… outre la rapidité de dissolution du comprimé sous la langue, il était prétendu que la prise de poids provoquée par ce traitement neuroleptique allait être moins importante chez les patients qui bénéficiaient du traitement sous cette modalité. Même principe actif mais pas les mêmes effets métaboliques ?!… Des découvertes surprenantes, inexplicables (sinon, improbables) et fortuites comme celle-ci furent vraiment une aubaine pour la Santé Publique. Et pour les actions Lilly© ? probablement….

 

Difficile d’être exhaustif, tant les exemples de découvertes miraculeuses qui donnèrent naissance à de nouvelles molécules (ou plutôt à de légers relooking de vieilles molécules) sont nombreux.

 

OÙ ETAIT LE SENS CRITIQUE DES ACTUELS EXPERTS PENDANT TOUTES CES ANNEES ?

 

Aujourd’hui encore, bon nombre de médecins restent convaincus que ces différents traitements bénéficiaient d’une légitimité médicale lors de leurs sorties respectives. Ils n’ont pas le sentiment d’avoir été abusés par des stratégies marketing grossières.

Nous n’avons pas été formés à supposer les enjeux financiers colossaux qui justifiaient peut-être ces récits abracadabrantesques, assénés sans réserve lors des visites médiales.

Je n’ai pas entendu beaucoup de nos maîtres s’élever face aux manipulations dont nous, jeunes internes, étions l’objet.*

 

OÙ AI-JE PERDU LE MIEN (D’ESPRIT CRITIQUE) ?

 

Au décours de cette présente crise sanitaire du Covid 19, me voici désormais relégué au rang des gogos. Les naïfs incapables de lire une étude scientifique. Je dois accepter d’être devenu disciple d’un gourou provençal. Séduit par le look rebel et les propos iconoclastes d’un pseudo-médecin mégalomane à la crédibilité usurpée. Je me suis laissé abuser, là où les grands esprits critiques ont repéré immédiatement une grossière imposture. Il n’y a plus de place pour moi parmi les acteurs de la médecine rationnelle. Impossible désormais de revendiquer ma foi en l’esprit critique.

Si j’en crois les spécialistes du raisonnement scientifique, l’affaire est entendue depuis le début: Raoult est un fou, un narcissique, un usurpateur dangereux… Difficile de comprendre ce qui a poussé ce chercheur à l’indice H hors norme à une telle « sortie de route » : mercantilisme pour les uns, sénilité pour les autres, ou encore syndrome du nobel… Pas d’explication précise, ni univoque, mais une conclusion catégorique partagée par la quasi-intégralité de nos élites intellectuelles.

Il a tort. C’est un gourou et ses disciples sont trop aveuglés pour percevoir l’énormité de ces propos outranciers.

 

 

ENTRE TRUMP, BIGARD ET DIEUDONNE

 

Apatride, sans m’y être préparé. Dois-je aller frapper du côté des Lacaniens ? Demander l’asile chez les homéopathes ? les anti-vax ?  Pourrais-je vraiment me fondre au sein de ces familles d’accueil que j’ai si souvent raillées, dénigrées ? Ils me paraissent soudain tellement moins hostiles. Tellement plus avenants depuis que je mesure l’intolérance et la condescendance de mes ex-modèles de vertu au travers de leur propos haineux .

Alors, passer du côté obscure ? Impossible… je n’y parviendrai pas. Mon salut ne peut donc venir que d’une prise de conscience inévitable. Tardive mais salvatrice. Je vais ouvrir les yeux et comprendre comment, et où, je me suis égaré. Pourquoi je n’ai pas suivi immédiatement mes semblables dans le lynchage de ce maudit Raoult.

Démasquer l’imposteur

Je vais comprendre qu’il n’a aucune légitmité, qu’il n’a jamais rien apporté à la science de toute sa carrière. Qu’il s’exprime sur un sujet qu’il ne connait pas et sort complètement de son champ de compétence. Qu’il est probablement affilié avec une entreprise secrète qui vient d’obtenir un monopole sur la production de génériques de chloroquine.

Dénoncer un poison

Que l’hydroxychloroquine présente un grave danger mystérieusement ignoré jusqu’alors. Qu’on a dissimulé à l’humanité le pire génocide de son histoire: des millions de morts cachés depuis que ce poison est prescrit larga manu.

Se reposer sur un système vertueux

Je vais apprendre qu’il n’y a pas de problème dans la façon dont la recherche est financée par une industrie qui n’a que faire des vieilles molécules peu onéreuses. Je vais découvrir que l’accumulation de données observationnelles, qui me semblait dénuée de sens, mais brillamment compilées (inventées ?) par le Lancet, est telle que la presse l’a décrit : une étude internationale salvatrice, à la conclusion sans équivoque**.

Après mon mea-culpa, je vais enfin pouvoir retourner aux congrès de psychiatrie. Ainsi croiser mes brillants confrères, disserter avec eux entre 2 panneaux publicitaires. Je vais pouvoir me moquer de la stupidité humaine avec mes anciens amis zététiciens du web dont j’ai tant loué l’Art du doute et le jugement nuancé.

 

Ou bien peut-être vais-je devoir me résigner à accepter ma condition de disciple d’un pseudo-gourou incompris par ses contemporains, dénigré par ses compatriotes, raillé pour sa clairvoyance par ses semblables. Ce messie représente peut-être finalement mieux que quiconque l’indépendance d’esprit et le raisonnement pragmatique. Après tout, ce ne serait pas un cas sans précédent: Carl Sagan n’a-t’il pas été considéré par certains comme l’égérie du mouvement Ufologique New Age post soixanthuitard ?

Toujours est-il que mon idole sera crucifié pour ne pas avoir pensé à (ré)inventer la roue.  Une 2,4 dihydroxychlroroquine de synthèse l’aurait peut-être préservé du chaos: une (pseudo)nouvelle molécule, pleine d’espoir. Elle n’aurait pas plus (ou pas moins) fonctionné sur le Covid 19. Mais elle n’aurait probablement pas induit une telle crise économico-polititico-sanitaire.

Dommage, Didier… dommage…

 

 

* Je dois quand même reconnaître avoir pu observer notre professeure universitaire de psychiatrie, spécialisée dans les troubles psychotiques, soutenir en plein congrès de l’Encéphale (devant l’élite de la psychiatrie française) que le plus vieux des neuroleptiques (le Largactil®) obtiendrait probablement également une indication sur le trouble bipolaire s’il bénéficiait des même investissements financiers que ceux qui  assurent le développement de la molécule phare du moment… Merci à elle pour le lynchage auquel elle s’est exposé ce jour là. Elle mérite, aujourd’hui encore, la reconnaissance de ses élèves pour la confiance qu’elle a permis à certains de conserver vis-à-vis de leurs universitaires.

** La fameuse étude a, depuis cet article, été rétractée… Preuve que le système est bel et bien vertueux ? Ou confirmation que les complotantes n’ont jamais eu autant raison ?

 

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