COVID-19: le mystère français

Le contexte

Le Pr Perronne dénonce le taux de létalité* par coronavirus SARS Cov-2 (agent de la Covid-19) de la France, largement supérieur à celui du reste du monde. Beaucoup d’observateurs, politiques mais aussi professionnels de santé, s’offusquent d’ailleurs d’une telle accusation fallacieuse. Lui, s’autorise à jeter l’opprobre sur l’intégralité d’un système médical qu’il décrit comme tristement politisé et asservi aux intérêts financiers des industriels.

Le principal argument avancé pour contredire l’infectiologue de Garches consiste à affirmer qu’on ne peut rien conclure de la comparaison de telles données épidémiologiques émanant de pays différents. Concernant la mortalité attribuable à la Covid-19, le principal biais découlerait ainsi du fait que le taux de dépistage n’a pas été équivalent selon les différents états considérés.

En effet, moins on dépiste, plus on ignore/sous-estime l’existence des cas légers, voire asymptomatiques, de la maladie.

La France aurait moins testé sa population que nombreux autres pays. Le nombre total de cas confirmés au sein des pays qui ont le plus dépisté est forcément plus élevé que dans les pays où les tests n’ont été réservés qu’aux seuls cas les plus graves (hospitalisés le plus souvent). Au sein de cette population gravement atteinte, il existera donc inévitablement une sur-représentation des décès liés à l’infection.

Rem. Il serait légitime de se demander si la France peut s’enorgueillir d’avoir moins testé que les autres pays de même niveau d’industrialisation.  Mais ce sujet mériterait probablement un article à lui seul. Dès le début de l’épidémie, une infectiologue parisienne affirmait pourtant crânement au journal de BFM TV : « le dépistage de masse n’aurait pas de sens, un individu négatif un jour peut très bien devenir positif le lendemain (sic) ». CQFD ?

Revenons donc au sujet qui nous intéresse en premier lieu: le taux de létalité du récent coronavirus. Appelé Case Fatality Rate (CFR) par les anglo-saxons, il s’agit de la proportion de décès (ici, par Covid-19) rapporté au nombre de sujets affectés. Tenons compte du biais de recrutement des sujets infectés, influencé par la variabilité des politiques gouvernementales de dépistage dans le monde. Si on juge que le taux de létalité Covid-19 anormalement élevé en France peut résulter du  faible niveau de dépistage, une première solution consiste simplement à ne comparer la France à aucun autre pays ayant fait plus de tests qu’elle !

Nous allons donc nous limiter à ne comparer que les chiffres épidémiologiques français qu’avec ceux des états qui ont procédé à des tests diagnostiques dans la même proportion qu’elle, ou de façon inférieure.

Selon le biais précédemment évoqué, nous devrions donc sélectionner ainsi les pays dont les données aboutissent à un taux de létalité pour la Covid-19 « artificiellement gonflé », par une sous-estimation des cas légers ou asymptomatiques (faute de dépistage massif).

 

Les chiffres

Europe: CFR à 11,02 %

dont pour la France, un  CFR à 18,45 % (21214 tests pratiqués par million d’habitants) Age moyen de la population: 38,85

Parmi les pays qui ont moins testé (ou autant) que la France:

Bulgarie: CFR à 5.20 % (tests/M : 17628) Age moyen de la population: 40.66 ans

Croatie: CFR à 4.58 % (tests/M :17803) Age moyen de la population: 39.97 ans

Moldavie: CFR à 3.3 % (tests/M : 15698) Age moyen de la population: 37 ans

Ukraine: CFR à 2.7% (tests/M : 13279) Age moyen de la population: 38.22 ans

Albanie: CFR à 2.21 % (tests/M : 7328) Age moyen de la population: 33.4 ans

Georgie: CFR à 1.54 % (tests/M : 22699) Age moyen de la population: 38.3 ans

Conclusion: si on considère les pays européens ayant pratiqué moins de dépistages pour le SARS Cov-2 qu’en France, le taux de létalité du virus est évalué entre 3 et 10 fois plus bas. Les personnes infectées ont présenté 3 à 10 fois moins de risques de mourir par Covid-19.

 

Afrique: CFR à 2.6 % (contre 18,45 % en France)

En Afrique, seuls Mayotte, Djibouti et l’île Maurice ont procédé à plus de tests par million d’habitants qu’en France. Cela concerne un total de seulement 2,5 millions de personnes, pour une population africaine supérieure au milliard d’habitants. Nettement insuffisant pour considérer qu’elle puisse suffire à avoir influencé les résultats.

Parmi les pays d’Afrique francophones :

Maroc: CFR à 2% (tests/M : 15288)  Age moyen de la population: 29.7 ans

Algérie: CFR à 7.1% (tests/M ?) Age moyen de la population: 28.9 ans

Sénégal: CFR à 1.5% (tests/M : 4189) Age moyen de la population: 19 ans

Madagascar: CFR à 0.9 % (tests/M: 688) Age moyen de la population: 19.9 ans

Tunisie: CFR à 4.3 % (tests/M: 5690) Age moyen de la population: 32 ans

République de Centrafrique: CFR à 1.2 % (tests/M:4330) Age moyen de la population: 19.8 ans

Conclusion: En Afrique, une personne infectée par le coronavirus SARS Cov-2 a présenté 6 fois moins de risque d’en mourir qu’en France. La jeunesse des populations africaines peut expliquer pour partie cette différence. Cependant, l’écart de budgets et de matériels dont disposent les infrastructures sanitaires et les services de réanimation français par rapport à ceux des pays d’Afrique, interroge.

 

En Asie :

Inde: CFR à 3.2% (tests/M: 5173)

Iran: CFR à 4.7% (tests/M: 17571)

Bangladesh: CFR à 1.3% (tests/M: 3930)

Indonésie: CFR à 5.3% (tests/M: 2444)

Iraq: CFR à 3.6% (tests/M: 11328)

Philippines: CFR à 3.7% (tests/M: 5633)

Afghanistan: CFR à 2.1% (tests/M: 1717)

Japon: CFR à 5.3% (tests/M: 3358)  Age médian: 42.64 ans

Corée du Sud: CFR à 2.2 % (tests/M: 23328)

Népal: CFR à 0.2 % (tests/M: 15725)

Malaisie: CFR à 1.4% (tests/M: 21437)

Thailand: CFR à 1.8% (tests/M: 6708) Age médian: 31 ans

Liban: CFR à 2% (tests/M: 17365)  Age médian: 27.34 ans

Palestine: CFR à 0.25% (tests/M: 15229)

Mongolie: CFR à 0% (tests/M: 6325)

Conclusion: En Asie, parmi les pays n’ayant pas plus pratiqué de tests diagnostiques que la France, le record de létalité est détenu par l’Indonésie et le Japon. Si l’âge médian de la population indonésienne n’est que de 30.8 ans, celui du Japon est de 46 ans ! (supérieur à la France)

 

En Amérique du Nord et Centrale,

4 états ont moins testés que la France :

Mexique: CFR à 12.2%  (tests/M: 3790) Age médian: 28 ans

Cuba: CFR à 3.7%  (tests/M: 13718)

Salvador: CFR à 2.3% (tests/M:22410)

Costa Rica: CFR à 0.5 %  (tests/M: 7095)     Age médian: 26.03 ans

 

En Amérique du Sud,

Equateur: CFR à 8.3%

Bresil: CFR à 4.6% Age médian: 27.81 ans

Colombie: CFR à 3.3%

Bolivie: CFR à 3.2%

Uruguay: CFR à 2.8%  Age médian: 34.7 ans

Argentine: CFR à 2.3%

Paraguay: CFR à 0.9%

 

Conclusion: En Amérique, parmi les pays ayant moins (ou autant) dépisté le Covid-19 que la France, le Mexique présente un taux de létalité record pour le virus avec 12.2 %. Sa population a un âge moyen de 28 ans (donc plus bas que celui de la population française). Néanmoins, la moyenne d’âge de la population n’a pas l’air de déterminer radicalement les différences de taux de létalité entre les pays sud-américains. L’Uruguay affiche ainsi un taux de létalité enviable de 2.8% seulement, pour un âge médian de sa population autour de 37 ans. 

 

 

Ce qu’on peut (ou pas) tirer de ces données épidémiologiques

Impossible d’affirmer de façon univoque la raison pour laquelle le coronavirus SARS Cov-2 semble un tueur tellement plus efficace en France, que lorsqu’il sévit dans les autres pays du monde.

MAIS : Impossible d’écarter d’un simple revers de main cette question fondamentale, qui mérite d’être étudiée de façon précise pour mieux en comprendre les mécanismes explicatifs.

Que le Pr Peronne soit un complotiste, un illuminé, un charlatan, pourquoi pas… Mais sur ce sujet précis, on attend toujours de connaître quelle réponse nos politiques et les membres du conseil scientifique vont-ils bien pouvoir lui formuler ?

 

Des hypothèses ?

Virus différents ?

Il est peut crédible de penser que le virus français soit significativement différent de ce qu’il est dans le reste du monde. Peu probable qu’une plus grande virulence soit attribuable à des caractéristiques propres à l’agent infectieux en France.

Physiologies différentes parmi les personnes infectées ?

Il est difficilement envisageable que la santé des français présente une fragilité spécifique vis-à-vis des agents infectieux, différente de celle des autres humains… La question de l’âge des populations reste centrale... comme évoqué plus haut, il faudrait recueillir les taux de létalité par Covid-19 par classes d’âge… Cependant, il existe des pays n’ayant pas plus effectué plus de tests qu’en France et présentant un âge moyen de population proche ou supérieur à l’hexagone: Croatie, Bulgarie, Ukraine, Georgie, Moldavie, Japon, voire Uruguay… Parmi eux,  le taux de létalité le plus élevé est celui du Japon avec … 5.3 % !!

Ecosystèmes différents ?

La différence peut provenir de la conjoncture de plusieurs facteurs distinguant notre environnement de celui des autres pays étudiés : climat, culture, modes de vie, habitudes nutritionnelles, coutumes, niveau d’industrialisation, etc… La liste des éléments d’écosystème susceptibles de différentier 2 milieux entre eux est infinie… l’enquête risque d’être bien trop complexe pour l’initier ici… Faute de mieux, la recherche d’éventuels facteurs évidents reste à la portée de tous. Les causes les plus évidentes peuvent parfois être omises. Cherchons les explications les plus simples avant d’envisager les plus improbables, même si on ne peut exclure une responsabilité plurielle…

Qualité de réanimation inférieure ?

Se pourrait-il que le système de soin français soit moins bien dotés que celui des autres pays avec lesquels nous venons de comparer les chiffres de létalité ? Est-il plausible que les médecins français soient plus mal formés que leurs homologues étrangers ? N’importe quel patriote crierait à l’outrage et la diffamation… Si on accorde du crédit la confiance des français en leur précieux système de soins, on aurait plutôt eu tendance à prédire des chiffres de létalité en France bien inférieurs à ceux des autres pays du monde. Comme quoi, il faut se méfier des prédictions intuitives…

Des chiffres erronés ?

Des autres pays ?  Cette hypothèse explicative consisterait à penser que seuls les épidémiologistes français ont été capables de recueillir des chiffres fiables pour évaluer l’impact du virus sur la population… Peut-être un peu mégalo comme point de vue. A moins qu’il s’agisse d’un complot mondial anti-France, visant à discréditer sa politique de santé.

En France ?  Lorsque une divergence dans des données chiffrées résulte des résultats issus d’une minorité (alors que le « plus grand nombre » partage une relative similitude), il est licite d’envisager que l’éventuel biais provient de la méthodologie utilisée par les iconoclastes.  Dans le cas présent, il existe alors 2 explications possibles: l‘incompétence ou la falsification délibérée. On n’ose penser que les français sont plus sots que le reste du monde. Si manipulation des résultats il y a, elle consisterait à avoir imputé certains décès à tort au coronavirus. Mais dans quel objectif aurait-on pu agir de la sorte ? Pour renforcer le sentiment de terreur ? Mais pourquoi donc ?

Prises en charge médicamenteuses ?

Certains argueront que cette différence traduit l’efficacité des protocoles thérapeutiques prônés, dans l’urgence, par certains infectiologues, contre un agent pathogène inconnu, mais appartenant à une famille de virus largement étudiée. Les pays d’Afrique, l’Asie du Sud Est, le Brésil et une partie de l’Amérique du Sud et du Moyen Orient auraient, selon le Pr Raoult, appliqué le protocole HCQ +/- azithromycine (initialement préconisé par les chercheurs chinois de Wuhan)…

 

Conclusion

Aucune réponse évidente ne paraît pouvoir émerger pour le moment.

Pourtant, civils, médias et responsables politiques regardent déjà vers les mois à venir…. Tous espèrent ainsi parvenir à prévoir notre futur nourrissant  l’illusion de pouvoir ainsi  se préserver du pire.

N’est-il pas plutôt prioritaire de tirer des enseignements de ce que nous venons d’observer et des données précieuses recueillies  par l’expérience? L’urgence est avant tout de rassembler les informations qui nous sont disponibles pour tenter de comprendre ce à quoi nous avons été véritablement confrontés, et comment il aurait été possible d’agir avec plus de pertinence. Notre salut passe plus par l’analyse des événements actuels, que par une énième tentative de divination…

Il est possible d’améliorer encore la pertinence des comparaisons de données épidémiologiques. Il faudrait par exemple disposer des taux de létalité du SARS Cov-2 par catégories d’âge (obtenir le nombre de personnes infectées pour une classe d’âge donnée/le nombre de décès par Covid-19 pour cette même classe d’âge). Ces chiffres doivent être accessibles mais n’étaient pas disponibles via la banque de données, libre accès, utilisée pour cet article. De même, il faudrait s’assurer que les critères utilisés par les différents pays pour valider les contaminations suspectées sont toutes superposables (tests nasopharyngés par PCR ? Scanners pulmonaires ? Simples critères cliniques d’imputabilité et notion de contages probabilistes ?) Pour ce qui concerne la transparence des données et l’authenticité des chiffres diffusés par les Etats, c’est une autre question… mais point de complotisme chez choisirunmedecin !

 

Sources:

Worldometers.info

Ourworldofdata.org

Wikipedia

 

 

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