L’intégrité médicale en DANGER

 

De récentes lois, nécessaires et légitimes, ont permis de mieux réglementer les rapports établis entre l’industrie pharmaceutique et les médecins. Pourtant, une nouvelle forme d’incitation à la prescription, déontologiquement contestable mais légalement autorisée, semble apparaître insidieusement.

Et si, finalement, l’intégrité de nos médecins n’avait jamais été autant mise en danger ? Si les influenceurs du corps médical n’avaient qu’uniquement changé de visage…

Ce qui met la « puce à l’oreille »:

Madame G. consulte son médecin traitant pour un simple rhume (rhinorrhée, céphalée et obstruction nasale). Elle repart avec une prescription de corticoïdes et une liste de plusieurs compléments alimentaires et autres produits phytothérapiques.

 Comment expliquer le « grand écart »  idéologique qu’illustre cette ordonnance d’apparence anodine ?

  • L’usage des anti-inflammatoires stéroïdiens (dérivés de la cortisone), pour un simple rhume, parait une réponse allopathique disproportionnée, car au rapport bénéfice/risque défavorable.
  • La prescription de phytothérapie traduit, en revanche, une aspiration à recourir aux traitements dits « naturels » ; considérés par certains comme médecine douce… En fait, des principes peu éprouvés mais souvent considérés à tort comme inoffensifs (Article sur la phytothérapie).

Que les médecins peinent à ne prescrire que le strict nécessaire dans le cas des maladies bénignes courantes (ici, de simples lavages de nez auraient eu leur place) peut s’entendre. Ces sur-prescriptions illustrent probablement une pression sociale, exercée par les patients sur des soignants qui cèdent parfois à l’exigence médicamenteuse. Ici, la banale cohabitation, sur une même ordonnance, de spécialités (para)pharmaceutiques situées aux antipodes de l’arsenal thérapeutique, interroge bien au delà.

 

Lorsque Madame G. montre le « livret publicitaire » remis par son praticien, pour lui permettre d’acheter les remèdes énergisants (censés stimuler son immunité) l’étonnement apparaît… Lorsqu’on découvre sur le-dit document un curieux code numérique que la patiente est invitée à recopier sur son formulaire d’achat en ligne, un malaise s’installe…

 

 

 

Des soupçons portant sur l’éventuelle manipulation des prescriptions médicales via des actions menées par l’industrie pharmaceutique envers des médecins, naïfs ou vénaux, existent de longues dates. Ils donnèrent lieu à de nombreux clichés, parfois tristement réalistes, d’autres fois grossièrement scénarisés sous un angle complotiste bien excessif. Il est indéniable que les médecins reçoivent en entretiens des délégués médicaux, dépêchés par un laboratoire pharmaceutique. Ce-dernier les emploie pour délivrer des informations portant sur l’actualité des spécialités pharmaceutiques qu’ils promeuvent. S’ils s’efforcent, parfois avec sincérité, de mettre en avant leur rôle de « conseil », on ne peut ignorer la démarche commerciale qui sous tend véritablement les visites régulières auprès des praticiens. Outre de brefs échanges visant à rappeler l’intérêt du médicament X® et à interroger le médecin sur sa satisfaction empirique (moyen habile de chercher si celui l’utilise dans sa pratique courante), il arrive aux délégués médicaux d’inviter leur interlocuteur à assister à l’allocution d’un confrère… assorti d’un diner convivial entre collègues. D’autres fois, offrent-ils de financer une inscription pour un congrès ou un colloque médical. De ces pratiques découlèrent probablement la plupart des fantasmes de vacances aux Seychelles made in Big Pharma. De même, les hypothétiques prescriptions de complaisance, guidées par un fastueux dîner organisé dans le dernier restaurant à la mode, relèveraient bien souvent d’un mythe à la peau dure…

Mannequin-et-coupe-de-peau-détouré

 

 

Contrairement aux idées reçues, les dernières années ont confirmé que l’âge d’or de corruption médicale est, sur ces points précis, bel et bien révolu.

« Désolé, je n’ai même plus le droit de vous laisser de stylos publicitaires lors de mes visites…»

Adieu, jolis presse-papiers aux couleurs chatoyantes et/ou autres improbables gadgets-mobiles, traditionnellement promis au poussiéreux bureau Louis XV du médecin de famille. L’ère n’est plus aux cadeaux… et c’est tant mieux !

 

 

Admettons qu’il fut une période (plus faste) durant laquelle les soignants pouvaient bénéficier d’avantages, gracieusement offerts par les laboratoires pharmaceutiques. Il n’en demeure pas moins qu’il existait des lignes rouges infranchissables: les V.R.P du médicament ne pouvaient vérifier si leurs obligés prescrivaient véritablement leur toute dernière spécialité. Bien que les messages (explicites, comme subliminaux) délivrés lors de présentations en grande pompe avaient probablement un impact sur le choix du praticien quant aux médicaments privilégiés, le secret de prescription restait un rempart essentiel. Ce principe fondamental permettait ainsi de minorer les craintes de pratiques déviantes, ou du moins, de mieux en répartir l’éventuelle responsabilité. Dans ces conditions, l’industrie pharmaceutique pouvait-elle être considérée comme responsable du biais induit dans la décision médicale ? N’aurait-il pas fallu interroger plutôt la nature même de la formation de nos médecins ? La solution ne reposait-elle pas sur un meilleur exercice de l’analyse critique face aux propos tenus par des interlocuteurs à l’argumentaire rôdé ? N’était-il pas du devoir des Maîtres universitaires d’avertir les apprentis médecins des répercussion potentielles d’une crédulité coupable sur leur pratique future ? En théorie, rien n’empêchait alors d’accepter un bon dîner au « frais de la princesse« , tout en conservant sa totale liberté de prescription. Quitte à promettre d’utiliser le médicament promu par le généreux laboratoire : Tout flatteur dépend de celui qui l’écoute. Le simple survol du dernier numéro de la revue Prescrire* permettait amplement de compenser l’aveuglement fugace provoqué par l’ingestion des dernières profiteroles au chocolat estampillées Bayer© ou consort.

 

Au delà de ces considérations de responsabilité, il a été décidé par les autorités tutellaires de la santé, dans une quête légitime de transparence, la création d’un site internet qui permet aux patients de se renseigner sur les avantages perçus par leur médecin:

La base de données publique TRANSPARENCE SANTE

 

Ce libre accès aux informations portant sur les liens d’intérêt entretenu par un médecin avec les autres acteurs du secteur santé reste incontestablement une avancée considérable. Il eut été cependant pertinent d’expliquer aux usagers de cet outil comment les-dit avantages étaient distribués : se faire offrir les frais d’inscription à une conférence internationale afin d’y entendre le spécialiste incontesté d’une spécialité médicale se distingue quelque peu d’un week-end « détente », à déguster les huitres locales, sous le prétexte d’un topo de 5 minutes louant les soi-disant miracles de la toute dernière poudre de perlinpinpin®… L’utilisateur du site ministériel TRANSPARENCE SANTE n’y trouvera pourtant, dans les 2 cas, qu’une information brute et sans précision: nom du laboratoire et valeur financière de la prestation.

Si certaines de ces liaisons dangereuses soulevaient de véritables questions éthiques et déontologiques, n’a-t’on pas risqué de surestimer aux yeux des patients l’impact de ces démarchages commerciaux contestables sur la qualité des soins reçus ?

 

« Une fois muselée, l’industrie pharmaceutique, laisse la voie libre à la com’ des pseudo-médecines »

 

Certains diront qu’il vaut mieux pêcher par excès que par défaut… certes. Il est bon de neutraliser un danger… tant que celan e favorise pas l’émergence d’un vice plus grand encore. Une fois muselée, l’industrie pharmaceutique laisse désormais la voie libre à un lobby voisin, bien moins surveillé.

Un lobby qui n’a pas peur de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament. Une industrie qui n’a pas besoin de prouver un quelconque effet favorable de ses produits avant de les mettre sur le marché, ni même d’assurer à l’usager leur innocuité. Ils proposent des alternatives aux médicaments « classiques », qui bénéficient d’une image honorable et d’une validation de principe auprès des adeptes du Bio et des médecines naturelles… Alors que le tour de force de vendre des granules d’eau sucrée, aux vertus thérapeutiques ésotériques, avaient révolutionné la raison (et le chiffre d’affaire des officines), l’industrie du complément alimentaire et de la phytothérapie fait bien plus fort encore et échappe aux démarches de transparence, instituée par les hautes instances sanitaires envers les traitements médicinaux. Pourquoi devrait-elle s’y soumettre ? Leurs produits ne sont ni remboursés par la sécurité sociale et ni même considérés comme des médicaments ! Alors, les compléments alimentaires appartiennent-ils à la sphère de la gastronomie ou à celle de la santé ? Voilà une ambiguité que personne ne paraît avoir d’intérêt à lever officiellement…

Il paraîtrait incongru de reprocher à un médecin de vanter à ses patients les mérites d’un tout nouveau restaurant de quartier, dont il conseillerait la nourriture. Si le professionnel de santé y sous-entend un effet bénéfique sur la santé de son patient, cela devient sujet à discussion… S’il se trouvait, de plus, être intéressé (par quelque moyen que se soit) au bon développement commercial de l’établissement gastronomique, d’aucuns crieraient au scandale …

C’est pourtant bien ce qui semblerait se dessiner via de nouvelles pratiques qui se développent grâce à un étonnant silence. Car si l’industrie pharmaceutique n’avait aucun moyen de vérifier la prescription de son médicament par le praticien qui recevait la visite du délégué, son ambitieux (mais recommandable) cousin vient d’oser franchir le pas ! Les producteurs de compléments alimentaires proposeraient désormais aux médecins de livrer eux-même cette précieuse information. Ils pourraient désormais attester que de nouveaux « clients » ont bien été orientés vers la gamme des produits ciblés, grâce à leurs bons conseils… moyennant quels retours ?

Voici un exemple de mail reçu par un médecin:  (il est ici question de phytothérapie)

Soignez vos patients autrement

 

 

Puisque ce type de collaboration est proposé aux professionnels de santé, ce pourrait-il que l’appât du gain ait encouragé le médecin traitant de Madame G. (« riche » bénéficiaire du R.S.A), à lui conseiller de s’acquitter de la modique somme de 110 euros mensuels afin de « booster » ses défenses immunitaires contre le rhume incriminé, (lui prescrivant de concert un « immunosuppresseur de confort », en faisant fi des recommandations de bonnes pratiques) ?

Bien sûr, il est préférable de rester prudent dans les hypothèses formulées ici. Le bénéfice du doute doit toujours être privilégié !  Il existe néanmoins un autre principe tout aussi essentiel. Souvent méconnu, il s’applique à la démarche sceptique de tout rationaliste en quête de vérité. Il s’agit du Rasoir d’Ockham : « les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables ».

Espérons sincèrement, qu’il ne s’appliquera pas au médecin de Madame G. , ni aux autres professionnels de santé qui seraient amenés à nous distribuer des catalogues publicitaires du même type… La crédulité peut-être discutable mais la vénalité serait condamnable. 

Vous êtes désormais avertis. Mettez donc en garde vos médecins. Devant de tels comportements suspects, et afin d’en comprendre le sens, vous n’hésiterez plus à vous référer au Rasoir d’Ockham !

 

 

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