Les médicaments responsables du crash de la Germanwings ?

 

Dans les médias, un célèbre urologue s’est risqué à l’expertise psychiatrique d’Andréas Lubitz,

feu copilote kamikaze de l’A320; ce, avant même, que les boites noires de l’appareil aient pu parler. S’autoriser à des interprétations hasardeuses devant un tel drame pose de légitimes questions. Quand Bernard Debré répond aux médias, dans les heures qui suivent l’explosion de l’avion, cherche-t’il à informer l’opinion, ou à créer de nouveau le « buzz » ? Le même questionnement s’était déjà posé lors de l’édition de son livre « Les 400 médicaments utiles, inutiles ou dangereux » : courageux best seller antisystème, qui ne manqua pas de détériorer la confiance des patients pour leurs médecins moyennant un cruel manque de rigueur scientifique… Mercantilisme ou maladresse ?

Revenons sur le dernier vol de l’A320. Imaginez qu’ Elizabeth Teissier prenne la parole dans les suites du crash volontaire pour promouvoir la valeur des prédictions de son dernier horoscope, au sein duquel elle mettait en garde les « natifs du Verseau » face aux transports aériens… C’est à peu près ce qui s’est produit lorsque notre député, Bernard Debré, usa de sa légitimité d’urologue pour avancer une explication psychiatrique à l’acte fou du jeune copilote Andréas Lubitz : « Le traitement du copilote est certainement responsable du drame… » (Source : Le Point) Donner une hypothèse, voire un avis, sur un événement tragique sur lequel tant de zones d’ombres existaient alors (et existent encore) relève plus de l’art divinatoire que de l’analyse critique du scientifique. Plus grave encore, par ces propos Monsieur Debré suscite la méfiance envers l’ensemble des personnes dépressives et jette l’opprobre sur les médecins (psychiatres ou non) qui tentent de les traiter. Rappelons que, si certaines psychothérapies peuvent s’avérer efficaces sur les dépressions d’intensité modérées à légères, le recours aux traitements pharmacologiques reste incontournable pour les formes sévères.

Le « diagnostic » posé par l’ancien ministre soulève deux questions majeures :

  • Est-il certain qu’Andréas Lubitz ait commis son acte de folie, en raison d’une « simple » dépression de l’humeur ? Tout psychiatre s’accordera à reconnaître que la personne déprimée suicidaire a tendance à s’orienter vers la modalité passage à l’acte autolytique qui lui paraît la plus accessible, et cherche rarement à y entraîner l’entourage… L’acte kamikaze prémédité du jeune pilote ne cadre pas vraiment avec ce profil de comportement. Les commentaires savants qui invoquent le spectaculaire « suicide altruiste » méconnaissent manifestement le mécanisme qui sous-tend ce geste désespéré. Il consiste à emporter ses proches avec soi vers une mort, synonyme de libération vis-à-vis d’une vie, considérée comme source d’une souffrance inévitable… Il paraît peu probable qu’Andréas Lubitz ait développé une telle empathie pour ses passagers, qu’il décida de les associer à sa fuite vers un monde meilleur…
  • Comment avancer que le geste meurtrier de cet homme est imputable aux traitements ? Imaginons que le co-pilote fût déprimé au moment des faits. Imaginons que notre illustre Professeur de Médecine a donc raison de se contenter d’une analyse simpliste et parcellaire d’un événement heureusement hors du commun. Imaginons donc que le copilote allemand, dépressif, a choisi de disparaître en dirigeant délibérément l’engin vers les montagnes qu’il surplombait – faisant fi des innocents qui l’accompagnait – trouvant cette modalité être la plus aisée pour lui. Qui peut alors affirmer que ce n’est pas un retard de traitement, dû à un diagnostic tardif qui, par l’absence d’amélioration de cette gravissime dépression, a favorisé la tragédie ? Monsieur Debré devrait ne pas oublier la mortalité liée aux suicides, sur dépressions non traitées, chaque année. Cette réalité illustre l’absolue nécessité de dépister et guérir, ce qui constitue un problème de Santé Publique, une maladie pandémique pourtant curable ?

Dans son interview, l’homme politique fait référence à la fameuse « levée d’inhibition » sous antidépresseurs. Souvenirs qu’il tire probablement des pages jaunies de ses lointains cours de psychiatrie. Ce phénomène est expliqué par de nombreux auteurs comme une recrudescence paradoxale et temporaire de l’anxiété pouvant survenir lors des premiers jours de traitement. Celle-ci peut exister chez certains patients chez lesquels la dimension anxieuse a peut-être été sous-estimée. Si le prescripteur n’a pas pris garde de débuter l’antidépresseur par demi-doses les premiers jours, le sujet peut alors connaître une tension interne majorée, responsable d’une plus grande impulsivité. Cet état peut dans ce cas précis être un facteur de risque supplémentaire de passage à l’acte auto-agressif, souvent lors d’un raptus irraisonné et brutal… Cette explication est-elle compatible avec la préméditation de l’acte de Lubitz, et avec le calme apparent, rapporté par les derniers témoins l’ayant croisés avant le drame ?

Autre thèse qui peut sous-tendre un effet aggravant des médicaments: les antidépresseurs auraient-ils provoqué un virage de l’humeur chez ce bientôt trentenaire déprimé ? Ce phénomène bien connu peut se produire chez un patient à la bipolarité ignorée et/ou sous-estimée. L’apathie et le ralentissement de la dépression peuvent alors laisser place à une explosivité parfois destructrice lorsqu’elle se développe dans ce que l’on nomme une « manie dysphorique », voire un « état mixte ». Si le Professeur Debré avait eu les connaissances (ou la rigueur intellectuelle) suffisantes, c’est certainement l’hypothèse qu’il aurait développée en premier lieu dans ses réponses au journaliste. Mais alors, dans ce cas de figure, est-ce les traitements, eux-mêmes qui devraient être incriminés, ou bien leur usage inadapté, donc la décision thérapeutique de les lui avoir administrés ? Le bénéfice sanitaire de la pénicilline a-t’il déjà été remis en cause par l’existence des cas d’allergies graves déclenchées lors de son absorption par certaines personnes ?

Cette dernière hypothèse partage pourtant, avec les improbables précédentes, l’avantage d’offrir des coupables désignés à l’opinion publique. Chacun a besoin d’être rassuré face à cette incroyable catastrophe. Il est en effet très insécurisant pour l’être humain de ne pouvoir trouver un responsable face à un événement dramatique. Un dysfonctionnement grossier permet de s’assurer que ce type de catastrophe n’aurait pas du se produire si les règles consacrées avaient été appliquées. Le naufrage du Costa Concordia avait offert ce réconfort aux observateurs de ce qui paru également un drame inimaginable.

Autorisons-nous, comme Monsieur Debré, à ajouter notre hypothèse aux précédentes : Et si Andréas Lubitz avait présenté ce que l’on nomme un trouble grave de la personnalité (narcissique ou paranoïaque, par exemple) lui conservant une « adaptation de façade », et lui permettant de dissimuler son effroyable dessein, même aux services chargés de ses examens médicaux réguliers imposés aux pilotes de ligne ? Cette option serait, reconnaissons le, la plus inconfortable… Dans le cas où de telles personnalités, rares mais documentées, sont acculées à la certitude d’un échec imminent (amoureux ? professionnel ?), ce dernier revêt un caractère inacceptable tel qu’il peut conduire à échafauder un scénario suicidaire, de grande envergure, spectaculaire. Il sert, une dernière fois, la mégalomanie mise en péril, au travers d’un dernier champ du cygne. Andréas Lubitz aurait alors été susceptible de réaliser son projet déjà révélé, à une de ses ex-compagnes : « tout le monde se souviendra de mon nom…. »

Ce scénario, disculperait les traitements, juste inefficaces sur ce profil de pathologie, mais ne permettrait pas de pointer du doigt un coupable véritable, puisque le meurtrier kamikaze devrait, lui-même sûrement, être considéré comme malade chronique. Malade dont les troubles sont malheureusement encore aujourd’hui mal évalués, peu, voire pas, accessibles aux soins psychiatriques.

Il resterait cependant toujours possible de rechercher pourquoi les mesures de sécurité n’avaient pas anticipé ce type d’événement ni permis d’y remédier (décision prise de nombreuses compagnies dans une urgence, qui ressemble à un aveu de négligence). C’est surtout peut-être également l’occasion de reposer la question de l’élaboration et de l’usage d’outils psychométriques fiables et exploitables lorsque de tels enjeux existent… Les vrais responsables du drame pourraient alors être à chercher parmi ceux qui persistent à penser le champ de la santé mentale pouvoir se soustraires aux obligations d’une approche scientifique, pragmatique, dotée de moyens d’évaluations efficientes et validées. Ceux-là se targuent de considérer que la souffrance mentale ne peut et ne doit se mesurer. La première mesure serait sûrement alors de bannir les pseudosciences des disciplines médicales, parmi lesquelles la psychiatrie, de dire adieu aux archaïques tests de Rorschach, aux horoscopes fumeux, et même aux gourous omniscients, fussent-ils uro-député…

Source: Le Point, 27/03/2015

http://www.lepoint.fr/societe/crash-de-l-a320-bernard-debre-le-traitement-du-copilote-est-sans-doute-responsable-du-drame-27-03-2015-1916407_23.php

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